Javier Mayoral

LES ESSENTIELS DE JAVIER MAYORAL (aka PulpBrother)

When I got the invitation to participate in this project I realized that aside from my family, my friends and my art there are no other essential things in the strict sense of the word that I absolutely need to keep going. What I have and treasure is music, literature, art and films that have given me many hours of joy and inspiration.

Some of the subjects I admire are not represented here because I could not find their portrait among the 11,000 paintings that I have catalogued but they are all in my heart and helped immensely in shaping the person I am right now.

Javier Mayoral
Septembre 2024


Photographs © Javier Mayoral


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Easy Living with Pulpbrother / The paintings of Javier Mayoral (2024)
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Mes Essentiels pour Stereographics par Javier Mayoral
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Francois Huguenin


LES ESSENTIELS DE FRANÇOIS HUGUENIN

La quête passionnée de sens est la seule chose qui fasse que la vie mérite d’être vécue. Cela passe bien sûr par les relations d’amour, d’amitié, familiales, sur lesquelles je resterai pudique ici, mais aussi par toutes les expériences intellectuelles et artistiques qui ont contribué à me permettre d’être ce que je suis devenu, et donc d’être plus vivant. Je vais donc rendre hommage à des artistes, des écrivains, des penseurs qui m’ont fait vivre intensément. C’est pourquoi je n’aime pas le mot de culture, trop souvent cantonné à des savoirs et des codes, et, pour le pire, à des poses. Soyons clair, la musique, le cinéma, la littérature ne m’intéressent que parce qu’ils me touchent existentiellement, qu’ils me rejoignent au plus intime, qu’ils me font être ce que je suis. A contrario, la danse, les arts plastiques, m’émeuvent rarement au plus profond, et courir les expositions ne m’intéresse guère. De même, un cinéaste comme Welles, un musicien comme David Bowie, un écrivain comme Proust sont évidemment des géants, mais ils ne me touchent pas. Je les laisse volontiers aux autres, comme la blanquette ou les vins de Loire rouges.

Tout a commencé avec la musique classique, dans la petite enfance. J’ai aimé passionnément Mozart, puis, le baroque (et notamment Bach), et je les aime toujours. Mais à 58 ans, j’ai accepté que la musique qui me touche le plus est le romantisme ou les périodes qui l’annoncent (Beethoven) ou le poursuivent (Mahler). C’est pourquoi je voudrais placer dans mes disques de chevet les Nocturnes de Chopin, dans l’interprétation de l’immense Maria-Joao Pires, qui donne la primauté au chant. Le 20e, posthume, en do dièse mineur, est peut-être la plus belle pièce de piano que je connaisse. A l’autre spectre, dans la musique symphonique, je place au sommet la 9e symphonie de Mahler, dans la version live de Leonard Bernstein, dont la force de vie et le lyrisme n’ont pas d’équivalents, au pupitre de Berlin. Et puis, je reviens toujours aux mouvements lents des dernières sonates de Beethoven (op. 106, 110 et 111 notamment) par Wilhelm Kempff, parce que lui aussi donne la première place au chant, avec une retenue bouleversante. Et à ceux des quatuors de la fin, dont la lecture du quatuor Alban Berg me comble par sa clarté et son âpreté.

La pop est venue, grâce aux amis rencontrés sur les bancs de Sciences-Po, notamment Yves Coll. Je retiens dans la myriade des trésors des années 65-69, les Beach Boys, car Brian Wilson est pour moi le plus grand génie pop. Pet Sounds est d’ailleurs le premier album que j’ai découvert, aux environs de l’âge de dix ans, en l’empruntant à la discothèque de la Part-Dieu, à Lyon, parce que la pochette aux biches m’avait envoûté. Je l’ai redécouvert à 20 ans, avant le sublime Smile, exhumé plus tard par Brian Wilson. Et puis, de mes années de jeunesse, dans l’ébullition post-punk, je retiens au plus haut rang Elvis Costello, avec ce miracle : je disais à mes amis que je rêvais d’entendre Costello avec un quatuor à cordes, et les Juliet Letters sont arrivées en 1993, exauçant ô combien mon vœu avec le Brodsky Quartet. Enfin, je ne peux pas ne pas mentionner les Nits qui, au-delà des albums sublimes, dont Ting est à mon sens le sommet, est le plus grand groupe de scène que je connaisse, d’une poésie rare et modeste, d’une qualité d’exécution incomparable. Urk témoigne de ce don de la scène. Toute cette pop est en anglais, et cela présente un grand avantage pour moi. Etant d’un niveau assez médiocre en anglais, les paroles ne viennent pas faire obstacle à la musique, à l’émotion brute qu’elle vient susciter, sans passer par l’analyse (ce qui est très salutaire pour un cérébral comme moi).

Avec la musique, ce fut la lecture. J’ai eu la chance de savoir lire très jeune, et de lire des livres d’adultes à partir de 5 ou 6 ans. Mais, il m’a fallu attendre trente ans pour faire une découverte qui a modifié mon rapport à la littérature, le transformant d’une boulimie au demeurant passionnée, à un rapport existentiel avec un auteur. Cet auteur est Julien Green, que m’a fait découvrir Michka Assayas, et qui, pour la première fois, m’a fait ressentir qu’un écrivain était venu écrire pour moi. De cette œuvre singulière, je retiens, parce qu’il faut en dégager un, L’Autre, qui est mon roman préféré. J’ai pu témoigner de ce lien unique entre un lecteur et un auteur, dans ce que je considère comme mon livre le plus personnel, La Nuit comme le jour est lumière (Le Cerf, 2022), qui est un essai littéraire très à part dans ma production. Il aura fallu attendre l’année 2023 pour que je ressente un même choc littéraire, avec la découverte du romancier japonais catholique Shūsaku Endō, dont je ne citerai ici que le roman Scandale. Comme Green, c’est par un ami, le philosophe Denis Moreau, que je l’ai découvert. L’amitié est essentielle dans le passage des œuvres et fait changer les trajectoires des existences par ce qu’elle donne à aimer. D’ailleurs, ma meilleure amie (car je crois aux amitiés homme-femme), Dominique, est comme moi une greenienne accomplie.

Le cinéma est arrivé plus tard car il m’avait été interdit dans ma jeunesse. J’ai découvert, étudiant, un univers inconnu, mais, là aussi, il a fallu que j’attende trente ans, pour, toujours sur les conseils d’un ami, Jean-Marc Régent, que j’aille découvrir Bergman, lors de la légendaire rétrospective du Saint-André des Arts. Comme avec Green, j’ai compris ce jour-là que j’attendais du cinéma qu’il m’explique l’énigme que j’étais à mes yeux. Bergman est celui qui m’a fait comprendre ce qu’il y avait au plus intime de moi. Je mettrais au premier rang Les Communiants, dont j’ai toujours pensé que c’était un film qui ne rompait pas avec la religion, comme l’a répété paresseusement une critique, pour le coup atrophiée par des œillères en partie coupables. En découvrant les Carnets de Bergman, tout récemment publiés en français, je me suis aperçu que ma lecture de ce film était aussi la sienne ! Le cinéma pour moi est l’art du passage de la grâce, celui de rendre visible l’invisible comme l’a théorisé André Bazin. Dès lors Bresson (Pickpocket), Dreyer (Ordet) ou Malick (The Tree of Life) ont rejoint Bergman dans mon panthéon. Je suis redevable à mon ami Yves Coll de m’avoir fait connaître autant de réalisateurs qu’il m’avait fait connaître de groupes pop lorsque nous étudions à Sciences-Po.

La dernière passion « intellectuelle » est un peu d’un autre ordre, puisqu’il s’agit de l’histoire des idées politiques, discipline « impure » comme le disait encore Bazin pour le cinéma, trop historique pour les philosophes et trop conceptuelle pour les historiens. C’est pour cela que je l’aime et que je l’enseigne, car la compréhension des choses est toujours et conceptuelle et historique (d’où la puissance de la thérapie analytique que je connais bien). En plus de quarante ans de lectures, mon carré d’as est composé de La Politique d’Aristote, montrant que l’homme est naturellement un animal politique, de La Cité de Dieu d’Augustin, distinguant clairement le politique et le religieux (contrairement aux idées reçues), de De la démocratie en Amérique de Tocqueville (montrant la force irrésistible et les risques de la démocratie pour la liberté) et de l’œuvre contemporaine de Alasdair MacIntyre, dont j’ai eu la joie d’éditer en français le grand livre politique, L’Homme, cet animal rationnel dépendant. L’histoire des idées politiques a également une place particulière pour moi puisque 4 de mes 9 livres sont des livres d’histoire des idées. Comprendre cette histoire de la pensée est aussi, et profondément, une manière de me comprendre, de saisir d’où je viens, et peut-être où nous allons, mais cela est moins certain ! Disons que je me définis comme un moderne qui est persuadé que les ressources de la pensée classique sont indispensables pour sauver la modernité politique. Je l’ai compris notamment en lisant les articles essentiels de Joseph Ratzinger dans la revue Communio, celui même qui deviendra Benoît XVI et qui a été essentiel, avec Julien Green, dans ma compréhension intime de ce qu’était la foi chrétienne qui est la mienne et qui est le centre de ma vie.

J’aimerais terminer sur deux ouvertures plus légères. Car j’ai deux autres passions. Tout d’abord le vin, et là aussi, il y a une histoire d’amitié, avec mes amis Parcé, vignerons en Collioure et en Maury. Le rouge du domaine Augustin et la cuvée Terres Nouvelles blanc du domaine de la Préceptorie sont ceux que j’aime le plus, car je suis un inconditionnel du grenache rouge et du grenache gris, ainsi que des terroirs où sont implantés ces vignoble, qui sont les plus sudistes de France !

Enfin, comment ne pas citer, au chapitre des émotions, celles que nous apporte la communion dans les grandes épreuves sportives. La victoire du Blaireau, Bernard Hinault, aux championnats du monde 1980, celles de l’équipe de France de football dans les coupes du monde 1998 et 2018, et la remontée fantastique de Floria Guei dans le relais 4×400 m des championnats d’Europe d’athlétisme, à Zurich en 2014, m’ont fait vibrer comme peu de moments dans ma vie !

François Huguenin
Juin 2024


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Joe Blaster


LES ESSENTIELS DE JOE BLASTER

Quand on me parle de l’essentiel, je pense d’abord à me promener nu dans la nature, les baloches au vent loin de la bêtise humaine qui me les brise mais je peux m’essayer à l’exercice d’introspection proposé par l’ami Pascal et que j’aurais finalement mit près d’un an à lui remettre…
(J’en suis bien désolé pour mon cher Pascal mais les semaines filent à une vitesse ! L’essentiel d’ailleurs ici, c’est Pascal car sans lui, pas d’essentiels).

Pascal, je l’ai connu grâce à mes camarades de Meaning of Tales, un groupe chouchouté au sein de Violette Records. Bien sûr, je trouvais déjà la personne extrêmement sympathique mais tout a basculé un soir d’hiver aux Vinzelles, un tiers lieu aux abords de Volvic. Pascal y donnait une petite interview en public, retraçant son parcours avant que nous investissions la scène avec MOT et ce soir là, Pascal a créé en moi sans le savoir un essentiel :  Parallel Lines, un morceau de Kings of Convenience.

Je me rappelle, l’interview suivait son cours, Pascal revenait sur sa jeunesse, ses artworks de disques, le label, ses diverses collaborations quand tout à coup, un instant s’est figé dans ma mémoire. J’entends pour la première fois Parallel lines. Immédiatement, quelques notes suffisent à faire résonner en moi tout ce que Pascal venait de raconter. J’ai ressenti avec lui le parcours sinueux et passionné de la vie d’artiste, quoiqu’il en dise c’est un artiste, et j’ai vu en Pascal une douceur sans faille, une âme pure qui a su précieusement conserver en lui cette idée du sensible que les enfants gardent en eux sans en avoir conscience et que les adultes bien souvent abandonnent à l’indifférence… et puis j’avoue, j’ai lâché une larme. Voilà le man m’a fait chialer, moi Joe Blaster, alors que je suis un rocker !

Si j’évoque ce souvenir, c’est justement parce que c’est ça mes essentiels. J’aurais pu faire une liste exhaustive, écrire sur mes premiers disques, ce live d’Oasis qui m’a valu une ‘tite torgnole (parce que l’argent confié par ma mère destiné à acheter des piles a finalement servit à acheter le live mythique de Wembley), j’aurais pu parler de mon enregistreur cassette Tascam 4 pistes, fleuron de la technologie niponne des années 90 et qui a vu se dérouler la bande magnétique de mes premier dessins sonores, de ma telecaster (la plus essentielle des guitares), de l’appareil photo de mon défunt papi ou encore de l’importance primordiale de la peinture, de la littérature et des arts mais on s’en fout ! On s’en fout, parce qu’on est anticapitaliste et le matérialisme, on aime pas, on fait du yoga ! Quelques instruments de musique, des livres, deux trois jolies lampes pour éclairer les ténèbres, un peu de vaisselle, la nourriture qui va dedans, une moto et quelques fringues suffisent pour toute une vie, et puis c’est bien pratique pour les déménagements !

Pour le reste, ce ne sont pas les objets qu’on aime mais les souvenirs qui y sont associés et qui leur donne leur essence, les rendant ainsi essentiels à l’esprit, cette notion vibratoire quasi surnaturelle impalpable que certains appellent « la valeur sentimentale ». L’essentiel peut s’agir d’une odeur, d’un paysage, d’une voix, d’une caresse ou tout autant de choses qui ne tiennent dans aucune boite. Et en parlant de boite, s’il y avait le feu chez moi et que je ne pouvais sauver qu’une seule chose des flammes, j’emporterai cette petite boite en bois posée sur l’accoudoir du fauteuil. Son contenu est trop intime pour être révélé, mais c’est ce qu’elle représente qui nous intéresse. Elle ne contient que peu de choses matérielles mais elle représente mes souvenirs.

Ce sont, j’en suis convaincu, nos souvenirs qui forgent ce que nous sommes. Ce que nous décidons consciemment ou non de garder en mémoire. C’est ce que nous partageons avec les autres qui nous défini. A travers les humains, les paysages, les expériences, les émotions, à travers les animaux aussi… Une légende familiale voudrait qu’à ma naissance, dans une fin d’été ensoleillée, un oiseau s’est posé sur le rebord d’une fenêtre et a chanté. Et j’te le donne en mille, il n’y a pas de son qui plonge mon corps et mon esprit dans un tel sentiment de bien être que celui du chant des oiseaux.

C’est ça l’essentiel, vivre des événements qui se transforment en souvenir, l’amour, les amis, la flânerie, le rire. La maladie, la violence, la souffrance, la mort qui nous ramène quand il le faut à la conscience du temps qui passe et qui rappelle que le pendule se balance et qu’on ferait mieux de se bouger le cul pour réaliser ses projets ! Voilà, du reste je suis convaincu que le sens de la vie c’est l’amour, ça paraît naze dit comme ça mais c’est la seule chose qui compte selon les Beatles et ces mecs se sont fait des couilles en or, mon jeune entrepreneur !

Ah, et n’oublions pas les derniers mots de l’aventurier Christopher McCandless qui à l’agonie, isolé seul au milieu d’une immensité arborée, prit le temps de noter ceci dans son carnet : « Le bonheur ne vaut la peine d’être vécu que s’il est partagé ». Alors vous comprendrez mieux pourquoi j’ai commencé ce texte avec le souvenir de ma rencontre spirituelle avec Pascal. C’est pour vous expliquer que c’est ça mes essentiels à moi, ce qui forme les plus beaux souvenirs : l’amitié.

Ami : du latin amicus, meme sens, dérivé de amare « aimer ».

Joe Blaster
Mai 2024


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Centredumonde (aka Joseph Bertrand)

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LES ESSENTIELS DE CENTREDUMONDE (AKA JOSEPH BERTRAND)

Une paire de lunettes
A l’approche de la cinquantaine, il m’est devenu impossible de voir de près sans lunettes, et donc de lire des livres. Curieusement, et même si la littérature est ma passion première, voire ma passion primordiale (enfant, je me voyais écrivain, paisible, dans mon bureau, conquérant le monde à coups de phrases alambiquées et de points de vue éclatants), cette contrainte nouvelle m’a définitivement coupé l’envie d’ouvrir un livre, d’autant plus que j’ai lu tous les livres que je voulais lire, et que l’acquisition d’une puissante culture littéraire (oui, j’ai vraiment TOUT lu) n’a fait qu’élargir le fossé intellectuel entre moi et le monde, qui se passe si bien de moi et de littérature.
Pour l’anecdote, j’ai payé cette paire de lunettes de la marque Andybrook – sise à Maisons-Alfort – assez chère, à cause d’un vendeur super sexy (il ressemblait à Adam Driver) dont je voulais me débarrasser au plus vite, parce qu’en face de lui je ne me sentais pas du tout sexy. Par ailleurs, je cherchais des lunettes tout à fait anecdotiques. Les lunettes, c’est comme les bagnoles et les montres, au-delà de leur aspect utilitaire, on envoie un message qui se résume à « Mes boules sont plus grosses que les tiennes » et moi, ça m’oppresse, les losers qui surcompensent.
Alors voilà, mes lunettes sont anecdotiques, voire moches, je ne les aime pas, mais après quelques mois passés à les apprivoiser, j’ai pu me remettre à lire, et en ce moment, je ne sais pas si c’est lié à ma florissante activité de chroniqueur musical pour A Découvrir Absolument, je dévore des biographies d’artistes qui parfois ne m’intéressent pas ou dont je n’ai pas écouté la moindre composition. David Bowie, c’est qui ? J’avais entendu dire, sans trop y croire, que vers la cinquantaine on laissait tomber la fiction pour des horizons plus concrets, ouvrages d’histoire ou d’économie, pourquoi pas. Ceci dit, quand j’étais plus jeune, je ricanais en m’imaginant écouter, à un âge avancé, du jazz, un verre de brandy à la main, en tapotant du pied, ce genre de truc, bah c’est pas près d’arriver. Ce que je veux dire, c’est qu’en vieillissant, on ne peut pas tout abdiquer.

Une manette de Playstation 5
Chaque été, je m’affronte, frôle la folie et en sort (je l’espère) grandi. Quand mes enfants sont en vacances, je reste à Paris, je ne fais rien, je ne vois personne. Le soir ne m’attendent que la solitude, les bières et les saucisses Knackis. Alors, jour après jour, je sombre dans une apathie protectrice, je suinte du cerveau, je fonds, je me laisse dégouliner jusqu’à l’exécration de moi-même. Mon appartement devient Shutter Island, on ne sait plus qui préserve qui de quoi, j’écris et compose en vain tant et tant que je me perds de vue : invariablement, les jeux vidéos me permettent de me raccrocher aux branches.
En 2023, Dysmantle : on casse des objets, on fabrique des trucs et on castagne des zombies, tout en se demandant ce que l’on fout là, jusqu’à ce que [spoiler] l’on comprenne que c’est à cause de nous que le monde est devenu un buffet Flunch. Bon, Dysmantle est anecdotique et la grande majorité des jeux vidéos s’adressent à un public de demeurés, mais depuis l’enfance je joue régulièrement et je peux sans honte affirmer qu’à toute époque il existe des chefs-d’œuvre vidéoludiques. Il s’agit d’un art total – narration, design, graphisme, musique, etc. – susceptible de vous embarquer pour un voyage à durée indéterminée. L’année dernière, j’ai passé une bonne centaine d’heures à me promener dans les rues de Night City, la ville futuriste de Cyberpunk 2077, ou bâtir dans Minecraft un château souterrain situé à l’intérieur d’un pont géant. J’ai conscience des impérities d’une industrie qui produit autant de merdes que leurs congénères hollywoodiens (les scénarios des jeux Ubi Soft semblent écrits par les mêmes idiots qui œuvrent pour Amazon et Netflix), mais je conserve au fil des décennies une grande tendresse pour ce média, au point de lire des magasines de retrogaming et de suivre certains Youtubeurs, dont el famoso Joueur du Grenier, l’infâme Sheshounet et, surtout, l’attendrissant Edward – son émission Rétro Découverte est un régal.

Paquet de spaghettis
Simple : hormis quand les enfants sont chez moi, je ne mange que des pâtes et des saucisses Knackis. Les Knackis, je carbure à deux paquets par semaine. Dîner de roi, environ 200 grammes de pâtes au beurre saupoudrées de parmesan râpé (un demi-sachet), quatre Knackis noyées dans de la sauce algérienne et, un peu plus tard, une ou deux glaces. Je pensais qu’avec le temps j’allais me lasser des Knackis mais à chaque repas je me régale, vous m’entendriez, je m’extasie. Ceux qui me connaissent savent.
Par contre, en vieillissant, je me suis lassé de certains trucs, comme les bonbons, les pizzas, le pain, la junk-food, tout ce qui donne soif, quoi. La clé, c’est l’hydratation, donc je cartonne sur les fruits et les crudités. Ah ah, je rêve, je diserts sur mon rapport à la nourriture, passionnant ! Quelques monomanies disparues en raison d’overdoses : les sauces au pesto, les bulots, les pizzas couvertes de pâtes. Bon, vous vous posez la question, je vous réponds : je mesure 1,84 mètres et pèse 79 kilogrammes. Oui, pas un pet de graisse, sans JAMAIS faire de sport. La vie est injuste mais sachez que mon sport à moi, c’est l’anxiété, l’angoisse métaphysique et la panique mentale, de bien particuliers coachs en fitness qui vous traînent de force à la salle de gymnastique, on s’en passerait, hé hé.

Peinture d’un chien
Depuis que j’ai divorcé, au début des années 2010, j’ai une vision très claire de moi dans le futur, vision certes rébarbative (on m’a déjà fait remarquer que mon projet n’était pas très inclusif – je veux dire, ne laisse pas de place au couple), mais réjouissante, à tel point que j’ai presque hâte d’être vieux. Imaginez : moi, assis devant un petit chalet, en haut d’une montagne, à ma gauche un gros chien, à ma droite une bouteille de vin rouge, et dans la main un fusil de chasse, et dans le chalet pas grand-chose, peut-être un ordinateur et une guitare, et surtout la possibilité de me faire exploser le crâne quand je le souhaite, histoire de finir en beauté, comme ce bougre d’Hemingway. Ou de Kurt Cobain. Ah, ça fait moins rêver. Et puis avant de me fourrer le canon d’un fusil dans la bouche, il faudrait que je mène la vie d’Hemingway.
Pour l’instant je suis plus proche d’un personnage secondaire de Michel Houellebecq, misère et néant à tous les étages. Le chien a vraiment existé, la porte aussi, il s’agit d’une toile peinte par mon grand-père paternel, dans son atelier en Bourgogne. Je pourrais évoquer l’environnement socio-culturel dans lequel j’ai grandi, qui me paraît intéressant car bigarré et structurant mes névroses tout autant que mes centres d’intérêts, mais ce matin j’ai un peu la flemme. J’attends qu’un technicien passe pour réparer mon chauffe-eau et enfin prendre une douche, parce que depuis cinq jours je ne dispose que d’eau froide, ça me tape sur le système.
Revenons-en à cette peinture, que je trimballe depuis années, qui n’est pas représentative de l’œuvre de mon grand-père, et que j’aime beaucoup, parce qu’au delà des couleurs chaudes, avoir un chien dans mon salon m’apporte un certain réconfort. Il y a des soirs où je suis bourré alors je me dis « Mec, pourquoi tu t’achèterais pas un chat ? » et je trouve l’idée absolument géniale, d’autant plus géniale que mes enfants seraient aux anges. Heureusement, je dessaoule puis me rappelle que je déteste les chats et encore plus les célibataires avec chats, les pires losers du monde. Bref, je me contente de mon basset hound posé sur l’étagère, pas besoin de le sortir trois fois par jour, ni de passer l’aspirateur sur le canapé ou de me sentir obligé de partager ma côte de bœuf avec lui, mon basset hound, je l’aime comme il est et on attendra le futur pour en acheter un vrai, ainsi qu’une cave à vin et un fusil.

Deux canettes de Heineken
Comment gérer quand on est un poivrot, mode d’emploi. J’aime boire beaucoup, beaucoup, beaucoup de bières et rien à foutre de la bière en elle-même, je ne suis pas un homme de goût, non, je suis un homme de volumes : entre quatre et cinq litres de bière industrielle (j’oscille entre Heineken et 1664) me permettent de rester conscient tout en profitant de la débandade de mon esprit. Des heures durant j’écris, je compose, j’écoute de la musique, je danse dans mon salon, je note de magnifiques idées qui finiront à la poubelle, j’échafaude des plans (foireux) sur la comète (en feu), je parle tout seul, je débats, je me dispute, je me raconte des blagues que je ne connais pas, je ris, définitivement je suis mon meilleur pote. Je passe toujours un excellent moment en ma propre compagnie.
Quand je suis rassasié, c’est à dire arrivé à mon pic d’ivresse (entre quatre et cinq litres de bières, même si record à sept litres – pour le vin rouge, c’est quatre litres), je n’ai plus du tout soif, mais super faim, alors je me jette sur un truc copieux qui va éponger l’alcool, comme une boîte de conserve de lentilles à la saucisse ou une montagne de pâtes. Ensuite, je range mon appartement, je me brosse les dents et me couche, il est rarement tard (entre 23 heures et minuit), je dors comme une souche et le lendemain je me sens juste un peu vaseux. Pas de quoi fouetter un viking.
Le truc, avec l’alcool, c’est que ce n’est pas assez valorisé. Je veux dire, on devrait admirer un type qui s’envoie cinq litres de bière tout en écrivant des chroniques musicales ou enregistrant des (excellentes) chansons puis au bureau le lendemain assure comme un ouf. Les gens devraient dire « Putain, c’est Centredumonde, c’est un dieu de la liche, j’aimerais tellement atteindre son niveau ». Les gens devraient me jalouser, mais non, quand j’évoque mon ivrognerie, je sens bien que ça me décrédibilise. Taper dans un ballon, croire en un dieu, se pimper le corps à coups de tatouages dégueulasses, c’est admirable, mais picoler, non. C’est n’importe quoi.

Une mandoline
Au travers de cette mandoline, achetée (cassée) (donc pour une bouchée de pain) dans une ruelle de Prague en 2003, vaguement réparée à Brest, on pourra analyser mon rapport étrange à la musique et aux instruments, et peut-être faire la promotion de « Ubac », le nouvel EP de Centredumonde, que je trouve très réussi, car super triste, il va vous péter le moral, si vous en avez marre d’être heureux, n’hésitez pas, écoutez Centredumonde, ce type est glauque, ce type est marrant, ce type est… bref. Soupirs.
Mon rapport à la musique, c’est compliqué : je me considère comme un musicien patate, dans le sens où je joue et chante comme une patate. Ma carrière de musicien patate commence dès l’enfance, je chantais si faux qu’on me donnait de l’argent pour que je me taise. Nan, j’exagère. Mais je dois admettre qu’en matière de guitare et de piano je vivote sur les deux trois trucs appris durant mon adolescence : certes, j’aurais pu progresser, et je me dis souvent que c’est gâché de n’avoir pas appris à réellement jouer d’un instrument, et que ce n’est pas trop tard, je peux m’y mettre dès à présent, mais voilà, il y a la mort. La mort depuis toujours me freine. Elle susurre à mon oreille : pourquoi prendre la peine de te lancer dans un projet dont tu ne verras peut-être pas l’issue ? Pourquoi apprendre quelque chose maintenant, à ton âge, tandis que je me rapproche de toi et que tu ne pourras récolter les fruits de tes efforts ? Pourquoi désirer si fort quelque chose qui assombrira ton passé : as-tu envie de te lamenter et soupirer sur le temps passé perdu à ne rien faire ? Vous voyez, la mort est une saloperie qui me parasite littéralement. N’agis pas, tu peux crever n’importe quand. Et moi je lui obéis.
Alors certes, j’enregistre des chansons, mais c’est une question de format, quand je me débrouille bien, c’est rapide. Alors qu’un roman, ça me demanderait une année entière, je suppose. Évidemment, avec le temps j’ai trouvé une parade : si tu dois mourir en chemin, fais en sorte que ce soit dans le sens de la marche. Mouais, je sais, ça n’aide pas vraiment et, jusqu’à mon dernier jour, je resterai un musicien patate. Quant à la mandoline, j’ai rapidement appris à en jouer, on peut l’entendre sur certaines chansons des 2000s, elle a un son pourri (comme toutes mes guitares) et, oh mais quelle surprise !!!, bah aujourd’hui, je ne sais plus en jouer.

Partition de Songs Of Love And Hate
Leonard Cohen, c’est le gars qui m’a fait comprendre qu’un texte de chanson devait raconter quelque chose et, à ce titre, Famous Blue Raincoat est un modèle du genre : le mendiant musicien de Clinton Street, Jane et la mèche de cheveux, la rose entre les dents, le rapport ambigu au destinataire de la lettre, etc., il y a une mise en scène en clair-obscur, avec une tension sous-jacente et des non-dits tout aussi parlants que l’explicite, ouah, le nain de Montréal place la barre très haut. Cette partition appartenait à mon père, j’ai mis le grappin dessus dans ma jeunesse et depuis la conserve précieusement. Elle est couverte d’annotations, surtout des transcriptions d’accords à la guitare, puisque je ne lis (évidemment) pas le solfège.
Pour en revenir à l’écriture des textes, je n’ai pas de chapelle. J’ai constaté que, la plupart du temps, les gens s’en foutent, des textes. Il ne les écoutent pas, ou pas vraiment, ce qui fait que vous pouvez vraiment écrire n’importe quoi, et tant qu’à écrire n’importe quoi, vous pouvez écrire un truc qui vous fait plaisir et dont vous serez fiers ou qui vous parle et vous touche vous en premier lieu. Bah oui, si on n’est pas soi-même touché par ce que l’on écrit, ça n’a aucun sens. Il m’arrive de verser des larmes d’extase quand je me relis, tant mon texte est beau et puissant et lumineux. Bah non. Parfois j’écris des textes bouche-trous, comme tout le monde, parfois je ne sais pas de quoi je parle ni à qui je m’adresse, parfois je suis content mais le seul sur terre à m’admirer, pas grave. Par contre, pendant longtemps j’ai pensé que le choix du titre d’une chanson, c’était important. Un titre qui claque, ça fait envie, non ? Voici une liste de chansons de Centredumonde dont les titres claquent au vent comme un étendard de pirate mal luné : « Quand je t’embrasse dans la rue, j’ai peur de marcher dans la merde » / « Le jogging sociabilise les obsédés sexuels » / « Un hiver de merde » / « L’alcool, la clope et le moisi » / « Tout le monde a raison, tout le monde est con ». Convaincus ? Moi non plus. Et donc, désormais, je me fiche aussi bien des textes que de leurs titres.

Un flacon de parfum
J’aime bien sentir bon. Je veux dire, sentir un parfum qui sent bon. Parce que je sais que des tas de gens trouvent que Axe ou Scorpio ou Paco Rabanne, ça sent bon. J’ai été surveillant dans l’internat d’un lycée professionnel : au petit matin, les mecs se vaporisaient du Axe sur la bite avant d’aller en cours, persuadés d’augmenter leur pouvoir de séduction. Moi, c’est Égoïste, de Chanel. C’est discret et le nom me parle. L’égoïsme, c’est un de mes défauts que je tolère le plus. Il y a que l’égoïsme sert souvent de prétexte à un autre qui se montrera plus égoïste que vous : puisque tu ne veux pas aller dans mon sens, tu es égoïste.
A une époque, mon frère cadet travaillait chez l’Oréal et nous envoyait des colis de parfums gratuits, principalement du Armani et du Hugo Boss. J’aimais bien, même si je ne suis pas le public cible de ces marques frimeuses. Ensuite, vers 2016, une chouette girlfriend m’a offert un flacon de L’Homme, d’Yves-Saint-Laurent : j’ai réussi à le faire durer bien après la fin de notre relation, je culpabilisais un peu de profiter de sa générosité quand bien même elle avait oublié que j’existais. Il y a quelques mois, je suis revenu vers Chanel, comme s’il s’agissait de retrouver des sensations de jeunesse perdue, ou une terre que vous avez arpentée de long en large. Vu que je ne sors plus de chez moi, ce flacon va durer mille ans.

Une paire de bottines marron
Plusieurs centaines de principes régissent mon existence, dont : « Les chaussures en cuir à lacets, c’est pour les enfants ». En conséquence, vous ne me verrez jamais chaussé autrement qu’en bottines, sauf quand j’en ai rien à foutre et que je porte des baskets de merde. Un principe sans exception n’a aucun charme. Il y a quelques années, j’ai acheté aux galeries Lafayette deux paires de bottines de la marque française Kost, une paire en cuir noir, une paire en cuir marron, dont je suis très content, même si on se situe sur le bas du milieu de gamme. Récemment, elles m’ont lâché mais j’ai pu compter sur un formidable cordonnier de la rue Saint-Denis (Cordonnerie Rétro by Michael) pour les sauver.
Au delà du plaisir que j’ai à porter des bottines en cuir, se pose la question de mon apparence, que je trouve bien trop relâchée à mon goût : il y a que je suis pauvre, paresseux et ne dispose que d’une garde-robe réduite. A une époque, c’était Kenzo, Zadig & Voltaire ou The Kooples, hop un divorce passe par là, et vous vous retrouvez à errer entre H&M, Zara et Mango, la lose.
Flemme d’essayer de bien se fringuer, puisque c’est perdu d’avance. Je me contente de ressembler à ce que je suis socialement, un bureaucrate semi-pauvre sans excentricité ni qualité esthétique particulière, brioche de pré-cinquantenaire, cheveux rares et dentition trouée, la perle rare, quoi. Ouais, je ne suis pas ce genre de type qui donne le change, comme les blaireaux qui tentent d’adopter les codes des nouveaux riches, costumes cintrés mais trop cintrés, dans une matière dégueulasse, montres en toc, chaussures brillantes en faux-cuir ciré au Baranne, lunettes de soleil en permanence, débit heurté, ce genre de tocards qui pullulent sur Youtube et vous abreuvent de conseils supposés vous enrichir. Mec, si tu étais aussi pété de thunes que tu le prétends, tu ne posterais pas chaque jour des vidéos sur les réseaux sociaux. Coucou Jean-Pierre Fanguin et sa mythique « La question, elle est vite répondue » ! Ceci dit, quand j’y pense, les connards déguisés en rockeurs, qui veulent à tous prix que l’on comprenne qu’ils sont rock’n roll dans leurs têtes, que ce soit par le langage ou l’apparence, je les exècre tout autant. En fait, de manière générale, j’aime pas les gens qui se décryptent trop facilement, dont tout le corps crie une identité et des préférences culturelles dont je me contrefous, comme s’ils se baladaient en permanence avec sur le dos une pancarte publicitaire vantant leurs propres mérites : le capitalisme appliqué à l’échelle individuelle, pas ma tasse de thé.

Un 45-tours de Centredumonde
La première trace discographie de Centredumonde : un vinyle quatre titres publié en 1998 par le label brestois Les Tartines, qui m’avait laissé une carte blanche totale et n’a pris connaissance des morceaux enregistrés qu’une fois les disques pressés. J’en ai dessiné la pochette, elle est moche mais dans l’esprit de l’époque, où malgré le massacre commis par la FNAC et autres bourreaux du vinyle (qui aujourd’hui se prétendent garants de ce format tout en vendant des galettes à quarante euros – je les hais), les petits labels, et pas seulement en musique électronique, parvenaient à exister au travers d’un maillage de listes de diffusion et de fanzines.
Ce disque a été suivi par quelques CD et cassettes audio, mais depuis 2020 je me contente de diffuser mes chansons via Bandcamp et de les proposer en téléchargement gratuit, en assurant une légère promotion sur Facebook – j’ai consulté les statistiques de ma page Bandcamp : 12 500 écoutes, réparties sur 143 morceaux. Ouais, mine de rien je suis prolifique, mais il y a pas mal de démos datant des âges glorieux, quand je vivais à Brest, grosso modo entre 1998 et 2004. Je me dis que le gratuit, c’est éthique, à une époque où la culture ne subsiste que grâce à l’argent public, et où des types tels que Pascal Bouaziz chouinent parce qu’ils galèrent à vivre de leur art, et que c’est pas juste, et qu’en plus le public c’est des méchants parce qu’ils n’écoutent pas Pascal Bouaziz. Je ne supporte pas ce genre de discours : mon pote, tu galères à vendre ta musique, bah fais autre chose. Plus généralement, l’intermittence, c’est un scandale. Les mecs n’ont aucun complexe, pour justifier de vivre aux crochets de la société. Entendu mille fois : « Ouais, tu comprends, sans intermittence il n’y aurait plus d’art et alors le peuple n’aurait plus accès à la culture et alors ce serait le fascisme. » Ah ???
Pour ma part, je prévois de fêter mes cinquante ans de la manière suivante : sélectionner mes dix chansons préférées de Centredumonde et faire presser un beau vinyle que j’adresserai gratuitement aux cent premières personnes qui le souhaiteront. Et non, pas de crowfunding, le crowfunding, c’est tricher : le fric sortira de ma poche. Ce qui à vue de nez me laisse deux ans pour économiser et dilapider deux mille euros. See you soon en 2025 !

 

Joseph Bertrand
Mars 2024


Plus d’informations à propos de Centredumonde (aka Joseph Bertrand)
centredumonde1.bandcamp

Mes Essentiels pour Stereographics par Joseph Bertrand
© Joseph Bertrand / Tous droits réservés / Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur

Loud and Quiet

Daudi Matsiko / The King of Misery

Parfois, un disque envahit votre quotidien comme par effraction. Rien ne vous y avait préparés et vous ne pouvez pas vous empêcher d’y revenir.

The King of Misery m’hypnotise depuis quelques jours. C’est le premier véritable album (après deux Eps) de Daudi Matsiko, songwriter britannique d’origine ougandaise. Un album incroyablement fragile et spirituel. Désarmant. D’une clarté fulgurante, d’une honnêteté saisissante, un album qui mord au cœur.

10 chansons feutrées, chuchotées, caressées… Un chant comme une confession, porté par les cordes à peine effleurées d’une guitare, un harmonium discret, le souffle enfumé d’un saxophone, une chorale d’ami(e)s ou encore le bruissement d’une texture synthétique.
Chaque note, chaque syllabe, brille par sa présence ou par son absence ; un incroyable et délicat dialogue entre la musique et l’âme de son auteur, dont on ne sait plus bien au fil des écoutes qui accompagne l’autre.

Je ne peux m’empêcher de penser à John Coltrane, à cet équilibre entre douceur, douleur et puissance, folk, soul et jazz. The King of Misery, comme un murmure salvateur dans le bruit de fond du monde.


Pascal Blua
16 Mars 2024

Plus d’informations sur Daudi Matsiko
linktr.ee/daudimatsiko
soundcloud.com/hellodaudi

The King of Misery est paru le 19 janvier 2024 sur le label Really Good

Merci à Emmanuel Delaplanche (et son indispensable émission radio, Trémolo Le Laboratoire) pour la découverte de ce disque.

Nicolas Taglang

Mes Essentiels pour Stereographics par Nicolas Taglang

 

LES ESSENTIELS DE NICOLAS TAGLANG

“Je ne comprends toujours pas d’où est sorti Joy Division.” (Tony Wilson)
Je ne sais pas comment j’ai eu Still vers l’âge de 12 ou 13 ans, je ne l’ai pas acheté, c’est une certitude.
Qu’est-ce que c’est que ces disques ? Cet album m’a longtemps impressionné, adolescent je l’écoutais
uniquement quand j’étais sûr d’être absolument seul. Presque 40 ans plus tard, Ceremony doit être la chanson que j’ai le plus écouté, que ce soit par Joy Division ou New Order.

J’ai un souvenir très vif de Changes à l’âge de 4 ou 5 ans. J’ai cette photo de Bowie depuis des années,
trouvée dans un livre, elle sert de pochette au 45t Golden Years.

Je ne suis pas Beatles, plutôt Stones, surtout Kinks. Je connaissais le groupe, leurs chansons, mais je
les avais un peu oublié, c’est ma fille qui les a remis sur mon chemin.

Quand j’ai découvert les Smiths, c’était presque terminé, et je dois bien avouer que leur séparation
m’est passée un peu au-dessus de la tête, je n’avais que 14 ans au moment des faits. Hatful of hollow
c’est la Bible.

J’ai gardé cette vieille compilation d’Otis Redding alors que j’ai à peu près tout de lui. C’est le seul qui
me fait regretter de ne pas être né bien avant pour le voir sur scène.

Quelques mois après sa sortie Bone Machine m’a vrillé les oreilles dès la première écoute, aux
premières secondes, ce premier coup de caisse claire est un séisme. J’aime tout ou presque ce que
fait Frank Black avec les Catholics, les Pixies ou en solo. Dans un registre un peu différent du gueulard
à guitares, écouter son Honeycomb est un véritable remède personnel.

J’écoute de plus en plus de musique classique, je me laisse guider par l’instinct, la chance, selon ce
que je trouve dans les bacs d’occasions. Je suis incapable d’en parler. Je sais juste que quelques uns
me font un bien fou à l’âme. Ces concertos de Mozart par Radu Lupu et la voix d’Alfred Deller sur les
Leçons de ténèbres de Couperin en sont les meilleurs exemples. Ces musiques qui traversent le temps en continuant à émouvoir ont quelque chose de rassurant.

Je sortais du service militaire, à côté de Brest. Je ne voulais plus entendre parler de cette ville, et
parmi les premières chansons que j’entends il y a Non Non Non sur Boire. Depuis j’achète les albums
de Miossec, aveuglément, affectueusement. Ses chansons m’accompagnent, certaines illustrent ce que
j’étais, ce que je suis.

Les Inmates n’ont rien de romantique, c’est pourtant durant le concert gravé sur ce disque qu’avec ma
douce nous nous sommes embrassés la première fois.

Ce portrait de la petite sainte appartenait à ma grand-mère maternelle. Il était accroché dans le lavoir
où elle travaillait. Je l’ai récupéré à sa mort, je ne l’aurais laissé à personne d’autre.

Mes béquilles : la sangle qui porte mon bras pour qu’il ne balance pas, la plaquette de cachets pour
atténuer les douleurs permanentes. Et un sac, indispensable dans mon cas, celui m’a été offert par ma
fille au retour d’un de ses voyages.

Je suis très amateur de nouvelles, de gens comme Marc Villard ou Léo Henry, d’auteurs de polars ou
de SF, mais Raymond Carver est vraiment au-dessus. Je me sens parfois tellement proche de certains
livres, certains albums, de certaines œuvres, qu’ils deviennent des personnes à mes côtés.
Ce petit Bartleby, si discret, est bien plus qu’une nouvelle ou un personnage, cette sensation d’être
toujours à côté, illégitime, m’est coutumière.

Je me suis souvent demandé comment je réagirai si à l’instar de Françoise Frenkel je me retrouvais
ballotté par les tourments de l’Histoire. Elle a tout le monde contre elle, les allemands parce que
francophile, les français parce qu’allemande. Elle sait ce qu’est se démener pour avoir une petite
place.

La vie mode d’emploi, toute une œuvre et tant de vie(s) possible(s) dans ce seul livre de Georges
Perec ; j’aurai tout aussi bien pu choisir Albert Cohen et sa Belle du seigneur ou 4,3,2,1 de Paul Auster,
je retourne régulièrement vers ces trois romans, pour quelques pages ou quelques chapitres. C’est
comme retrouver de vieux amis.

Les livres sur la musique sont l’occasion de creuser autour d’un sujet, d’un genre ou d’un groupe, d’un
album ou d’une chanson, de resserrer l’écoute et d’approfondir. J’aime le recul procuré par l’écrit. Je
ne suis plus autant avide de nouveautés musicales, je suis toujours un peu l’actualité grâce à une
poignée de sites internet et surtout grâce à des amis virtuels qui sont de véritables vigies.

Il en manque, Tony Joe White, Marianne Faithfull, Sammi Smith, Lambchop, Chris Eckman, Wedding
Present, Another life de Nadine Khouri et Veedon Fleece de Van Morrison. Jean-Patrick Manchette
pour toute son oeuvre, les récits de Mario Rigoni Stern, Franquin et ses Idées Noires, le Cycle de Hain
d’Ursula K. Le Guin. Et d’autres tas de disques et piles de livres encore. J’y ajouterai volontiers un
bermuda, une paire de tongs, une chemise hawaïenne et une casquette, ma tenue préférée, mais la
photo n’est pas assez grande.

Et puis il manque ce qui ne tient pas sur une photo, la mer que j’ai la chance infinie de contempler
chaque jour, la vie virtuelle, Dalva ma chienne.

Nicolas Taglang
Février 2024


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Julie Konieczny

Mes Essentiels pour Stereographics par Julie Konieczny


LES ESSENTIELS DE JULIE KONIECZNY

“ Questionner l’Essentiel, pour une matérialiste comme moi, c’est une tâche intimidante. Je sais bien que l’essentiel est invisible mais l’essentiel est concret, l’essentiel ne s’attend pas, il se crée, l’essentiel n’est pas pudique, il se vit. L’essentiel ne s’espère pas, il se convoque. Et quand il est parti c’est la misère. J’ai toujours eu l’essentiel. Voilà ce que je me dis, alors ce qui m’intéresse c’est comment le rendre beau et mieux encore : le rendre beau en équipe, ce qui est à la fois un luxe et la moindre des choses quand on a la chance d’avoir … l’essentiel. 

La main – ce livre d’illustrations par Philippe Dupuy a une histoire puissante. Ayez la curiosité de la découvrir. Elle donne beaucoup de force.

L’outil – l’humain a ceci de grandiose qu’il fabrique des outils pour la main qui forge au quotidien l’essentiel mais aussi des œuvres inutiles et enivrantes. 

L’ivresse – c’est un autre terme pour la joie. N’ayant pas une immense propension au bonheur,  je partage volontiers le vin qui rend gai et je trouve parfois autant de spiritualité dans un repas que dans un musée.

L’esprit – Ce texte infernal de Malcom Lowry m’accompagne chaque été depuis longtemps et je le lis exclusivement à l’occasion de mes vacances, quelques pages par jour sur une plage bretonne (idéalement). L’incertitude de le terminer un jour me convient très bien. “


Julie Konieczny
Février 2024


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Jaune Will Tear Us apart

The Apartments "apart" / Photographie © Michel Valente

 

Il est des jours où rien n’arrive mais il arrive. Les musiques, il faut les laisser venir à soi et ne pas les brusquer, elles savent qui nous sommes. Un soir, la musique de Peter Milton Walsh est arrivée à moi. C’était en 2012, à Clermont-Ferrand, une nuit de décembre. Immédiatement, une connexion s’est faite, comme si j’avais toujours connu ces chansons. Un lien particulier s’est alors crée avec tous ses disques, d’abord Drift – ce bleu nuit – , puis No Song, No Spell, No Madrigal – ce gris neige – , puis les autres, jusqu’à In and Out The Light sur lequel j’écrivais en 2020 ces mots « Que chacun choisisse alors sa lumière, la mienne, celle que je vois, celle que je verrai toujours, c’est ce jaune lumineux – le même que le vinyle de In And Out The Light, le même que cette veste qu’elle portait si bien – et cette lumière me laissera toujours croire que le ciel pourrait s’éclaircir un jour car à quoi servent les disques s’ils ne ramènent pas à la vie ? ».

Il est des jours où rien n’arrive mais il arrive. Des personnes sont arrivées dans ma vie, des personnes que j’ai rencontrées aux concerts de The Apartments. Elles aussi s’étaient senties liées à ce « beau chanteur » qui semble ne chanter, pour nous, rien que pour nous, des histoires qui leur appartiennent. Ce ressenti, c’est quelque chose de fort que je ne m’explique pas et qu’il ne faut pas chercher à expliquer.

Il est des jours où rien n’arrive mais il arrive. Grâce à Christophe Basterra, et parce que j’aime me plonger dans les pochettes de disques, j’ai rencontré Pascal Blua, l’homme qui avait réalisé la pochette – magnifique – de No Song, No Spell, No Madrigal mais pas que. D’autres pochettes de disques, des affiches, des sérigraphies, ces œuvres, elles portent sa patte, son regard, sa justesse. Pascal Blua, c’est l’homme qui sait mettre la mélancolie en images.

Il est des jours où rien n’arrive mais il arrive. apart était le disque, disons-le, « oublié » de la discographie de The Apartments, et comme l’a écrit Matthieu Grunfeld c’est « celui qu’il était devenu presque impossible de réécouter en faisant abstraction de la suite ». Mais apart est arrivé, dans la boite aux lettres, en décembre – décidément ! – et quand j’ai ouvert le carton, je me suis trouvé happé par cette pochette jaune. Je ressens alors des choses qui n’ont rien à voir avec la musique. Ce jaune, je peux le sentir, il est vivant. Je ne l’avais jamais vu mais lui, je le sens, me connait. Qu’est-ce qui se passe ? Ce sont des souvenirs – les siens, les miens ? – qui passent par cette couleur. Les chansons continuent de défiler mais je ne les entends pas, je fixe ce jaune à m’en pulvériser les yeux. Je le sens s’engouffrer dans les failles dans mon esprit, dans mes souvenirs. J’ai envie de répondre à celui qui a écrit que l’amour fou existe en noir, que moi, je le vois jaune.

Nous savons toutes et tous qu’il y a des disques qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence.
J’ai envie de dire qu’il y a des couleurs aussi.

Jaune Will Tear Us apart.


Michel Valente
Janvier 2024



The Apartments – apart (remastered vinyl edition 2024)
include liner notes wrote by Peter Milton Walsh
talitres.com

Pour en savoir plus sur Michel Valente
section-26.fr/michelvalente

Love’s A Lonely Place To Be

Virginia Astley "The Singing Places"

Comme la bande son parfaite d’un automne en devenir, Virginia Astley vient de publier, avec toute la discrétion qui la caractérise, une longue et fantastique pièce instrumentale de plus de 26 minutes.

Un voyage onirique dans la douce et rêveuse musicalité de l’immensité de son talent, sur lequel le temps ne semble avoir aucune emprise. Un voyage comme une suite au delà des ans, des enregistrements visionnaires de l’album “From Gardens Where We Feel Secure” (1983), bande son intemporelle d’un été sans fin.

Rarement pièce instrumentale n’aura portée un titre aussi juste : “The Singing Places“, cinq actes d’une promenade poétique dans l’âme musicale de lieux que Virginia Astley nous laisse le soin d’imaginer et de rêver.

Absolument magique.


Pascal Blua
14 octobre 2023

Plus d’informations sur Virginia Astley
virginiaastley.com


Eternels remerciements à Martin Stephenson pour m’avoir fait découvrir la musique de Virginia Astley (a long, long time ago) et à Harvey Williams pour ses repérages (toujours) avisés.

Gildas Secretin

Gildas Secretin © Matthieu Dufour

AU DÉBUT

Quels sont tes premiers émois musicaux et/ou graphiques ? 

Quels souvenirs en gardes-tu ?
Gildas J’ai certains souvenirs où mes émois musicaux et mes émois graphiques sont liés, ce sont des longs trajets en voiture pendant lesquels mon père passait sa musique en boucle. Je me souviens tout particulièrement d’une fois, un mood sonore inquiétant conjugué à un visuel qui avait vraiment interpellé ma petite tête : un cochon flottant dans les airs au-dessus d’un énorme bâtiment sans fenêtres … image irréelle, fascinante, compliquée à relier à la musique. C’était l’« Animals » des Pink Floyd.
Dans cette même famille de « souvenirs sur la route » je me rappelle de la chanson « Shine on you crazy diamonds » (wish you were here) et son graphisme d’homme en feu échangeant une poignée de mains, je me souviens aussi beaucoup des des premiers Jean-Michel Jarre, artworks et musique : la tête de mort sur notre planète (Oxygène) et la couv avec les personnages/oiseaux qui portent des jumelles (Equinoxe), un graphisme qui rappelait un peu celui du dessinateur Caza. Par la suite, j’ai toujours guetté chaque sortie des Pink Floyd pour jeter un oeil au graphisme.

“Je me souviens tout particulièrement d’une fois, un mood sonore inquiétant conjugué à un visuel qui avait vraiment interpellé ma petite tête : un cochon flottant dans les airs au-dessus d’un énorme bâtiment sans fenêtres … image irréelle, fascinante, compliquée à relier à la musique. C’était l’« Animals » des Pink Floyd”

Pink Floyd ‘Animals‘ COURTESY OF WARNER MUSIC

Y a t’il des liens entre ton parcours graphique et ta passion pour la musique ?
Est-ce une démarche volontaire ou le fruit du hasard des rencontres ?
Gildas Il y a de la porosité c’est sûr. Comme je suis graphiste indépendant et que je travaille à mon domicile, il y a de la musique presque en continu toute la journée. Cela conditionne tellement ma création que je dois faire attention à la setlist que j’écoute en fonction de mes projets en cours !… 
Je suis très sensible aux artworks, ils sont la porte d’entrée vers un disque, voir même ce qui peut me pousser à l’achat quand je ne connais pas l’artiste. J’étais donc ravi quand j’ai eu mes premières commandes d’artwork,  un peu stressé aussi, c’était un peu comme un rite de passage. 
Faire ressortir l’univers d’un album en un seul visuel en tout cas c’est vraiment un super exercice, délicat et privilégié. 
J’ai commencé par des artworks pour mon ami Arnaud Le Gouëfflec, puis ensuite pour le groupe anglais Earthling, les belges de Mudflow, La Théorie du K.O, Kuta, Berry Weight etc … les dernières en date sont pour mon ami Centredumonde, qui produit des mini Ep merveilleux à tour de bras, et très bientôt une autre pour le groupe Everminds.

Artworks © Gildas Secretin

Ma façon d’aborder et de travailler le graphisme a d’ailleurs imprégné mon « avatar » musicien : ce goût pour les patchworks et les couches, les mélanges et les accidents… et toute cette cuisine : recherches d’accords / d’arrangements / mixage / paroles… c’est très graphique tout ça, il faut du relief, de la couleur, des émotions…

En musique comme en graphisme, je réalise ma sauce et ma cuisine dans mon coin, sans pression, sans frein. Je ne me colle aucune contrainte, c’est un pur espace de liberté, c’est rare et j’y tiens beaucoup.

GRAPHISME ET MUSIQUE

Certains mouvements musicaux — comme les mouvements punk, low-fi ou encore la techno — ont accordés une place essentielle à l’image et au graphisme. Que penses-tu de cet aspect « visuel » de la musique ?
Gildas Oui le graphisme aide à se repérer, à se diriger… aussi à se démarquer, à s’identifier. Normal que certains mouvements/labels avec une idée claire en tête, ou simplement en quête de visibilité ou de lisibilité, aient soigné cet aspect. L’artwork est l’écrin du disque mais aussi une partie de son message, c’est un premier contact et une interpellation. J’imagine que chaque musicien prend ça très au sérieux c’est évident.

Que penses-tu du « retour » en force du vinyle face à la dématérialisation de la musique et de sa distribution ?
Gildas C’est super (je n’ai pas de platine), j’ai toujours adoré ce format car la part du graphisme y est plus belle.  J’ai été agacé par la dématérialisation de la musique pour plusieurs raisons : parce que l’artiste est complètement floué d’abord; parce que l’accès à tout en un seul click enlève beaucoup au plaisir de la recherche et/ou de la découverte; aussi parce que cela a scellé la fin du rapport à l’objet. Ce plaisir qu’on a tous eu de déballer un disque, l’impatience, peiner sur le blister, chercher la faille, atteindre l’objet, le poser sur la platine, prendre le livret, le feuilleter…S’imprégner du graphisme, de l’image, avant même de toucher au son. J’adore ce petit cérémonial privé alors tant mieux s’il revient à la mode ( je n’ai pas de platine mais le principe fonctionne aussi avec les CD).

Artworks © Gildas Secretin

ARTWORK

En tant que graphiste, comment abordes-tu la réalisation d’une pochette de disque ?
Quelles sont tes attentes vis à vis du musicien ou du groupe avec lequel tu collabores sur une pochette ? Es-tu ouvert à l’apport et l’échange d’une collaboration (photographe, stylisme, etc…) ou est-ce une démarche solitaire ?
Gildas
C’est très rarement un travail solitaire, il y a beaucoup de discussions et d’échanges, l’artiste vient presque toujours avec ses attentes graphiques, sa première idée, rare sont ceux qui m’ont donné carte blanche. On me mets toujours sur des rails graphiques, soit via un style que j’ai déjà développé sur un autre projet, soit via d’autres sources d’inspirations, c’est ensuite à moi de digérer le tout. Il faut être attentif aux attentes, aux demandes, il faut bien s’accorder avec l’auteur. Une chouette démarche assez intime.

La pochette d’un disque permet-elle d’ajouter une “autre” dimension à la musique ?
Gildas —  Ce n’est pas garanti mais oui, je le pense, ce sont deux univers qui cohabitent et coexistent. Idéalement l’écoute du disque devrait « valider » le graphisme. Ensuite, souvent assez naturellement, mais cela dépend bien sûr l’amour que l’on porte au disque, le lien peut devenir émotionnel. Telle la fameuse madeleine, la pochette devient un accès direct à l’univers du disque ainsi qu’à la relation qui nous unit à lui : souvenir des mélodies, de l’intensité musicale, mais aussi surtout des moments qui vont avec, images d’archives personnelles, réminiscences diverses et multiples – pas forcément précises mais toujours émotives -, d’événements ou de moments vécus avec ces sons-là en background. Quand on adore un disque depuis 30 ans ça peut faire un paquet de données.

Un musicien, un groupe ou un labels doivent-il avoir un univers visuel et graphique qui leur est propre ??
Gildas Moi j’ai une préférence pour les visuels qui changent à chaque fois, mais on ne peut pas nier que certains artistes ou labels ont des chartes graphiques qui en jettent.

C’est très rarement un travail solitaire, il y a beaucoup de discussions et d’échanges, l’artiste vient presque toujours avec ses attentes graphiques, sa première idée, rare sont ceux qui m’ont donné carte blanche.”

HALL OF FAME

Quels sont le ou les éléments (images, typographies, message…) qui font une bonne pochette?
Gildas Hm c’est tellement l’univers des possibles le graphisme que ce n’est pas simple de répondre. 
J’ai peu de culture et d’appétence avec les techniques « académiques » : lignes de forces et de fuites, sens de lecture, sciences des couleurs … Que ce soit en graphisme, en musique, en photo (pour tout type d’art) je suis très peu touché par des oeuvres qui reposent essentiellement sur une maitrise parfaite de la technique. Un amateur qui joue du blues avec trois notes de guitare sur une plage avec un ampli pourri peut me toucher beaucoup plus qu’Eric Clapton ne le fera jamais. Au final c’est l’alchimie et l’émotion qui comptent, et qui touchent au but (ou pas). C’est très personnel tout ça, faudrait demander à nos cellules des précisions sur « pourquoi certaines œuvres nous font tant d’effet ».

Chaque cuisine à ses trésors d’ingrédients  et chaque cuisinier ses recettes secrètes, personnellement je trouve rarement un visuel vilain.
Et quand bien même : prenons par exemple la couv du ‘Mellow Gold’ de Beck, qui n’est pas franchement jolie à mon goût, pourtant à l’écoute je sais pas, je trouve que ça colle carrément bien l’univers de la musique. Parfois on a besoin du son pour apprivoiser le visuel.

En graphisme cependant je peux aussi m’émerveiller devant la quantité de travail fournie, même si le résultat ne m’émeut pas.

Ton Top 5 des plus belles pochettes ?
Gildas Je suis incapable de faire un top aussi court… En voici quelques unes qui me viennent sans réfléchir, pas forcement iconiques, mais dont le lien visuel/musique fonctionne bien à mon goût :
Bashung – Bleu pétrole
The Cure – Disintegration
Les Stones – Exile on main street
Bowie – Heathen
Beck – Modern guilt

J’aime aussi les artworks de Radiohead et de Moderat et la simplicité de ces couvs  : 
Neil young – Everybody knows this is nowhere
Iggy pop – Zombiebirdhouse
Beck – One foot in the grave
Bonnie Prince Billy – the letting go
Damon albarn – Mali music
Pj Harvey – Uh Huh her

Et aussi des artistes dont je trouve le travail superbe :
Les M/M évidemment, grande source d’inspiration : Biolay – Bjork – Murat …
Remy Poncet (brest brest brest) : toutes les couvs d’Objets-Disques mais plus précisément certaines de Chevalrex – Midget – Remi Parson…

Merci Pascal !

Gildas Secretin
Septembre 2023


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“Personal Landscapes”
Gildas expose jusqu’au 15 septembre une sélection de créations digitales
à La Moulinette (81 bis rue Lepic, 75018 Paris)