Centredumonde (aka Joseph Bertrand)

Mes Essentiels pour Stereographics par Joseph Centredumonde


J’ai rencontré Joseph le 8 juillet 2015, je m’en souviens aussi précisément car j’ai une photo de cette journée : un homme discret et charismatique, calme et réfléchi, doux.  On avait bu un verre avec des amis, à peine eu l’occasion d’échanger quelques mots, tout ce que cache une première rencontre. 8 ans plus tard je confirme qu’il est bien tout cela, à des dosages différents selon les jours mais cela lui ressemble bien… (tant que son evil twin, tel le Hank de « Fou d’Irène », reste tranquille).

Pas simple de présenter une personne en quelques phrases accrocheuses, il y a tant d’angles d’approche, mais concernant Joseph Bertrand impossible de ne pas parler de son esprit lucide et affuté (probablement trop) : un esprit qui nourrit un talent fou pour l’écriture et la composition, un as de la formule, rompu à l’observation de ses pairs, un esprit rafraîchissant par son humour, sa perspicacité, le bon sens de ses analyses et sa saine intelligence. Revers de la médaille : pour protéger sa sensibilité chahutée par le réel, il a développé des mécanismes de défenses à la hauteur (dont un cynisme de compétition), qui court-circuitent et torpillent les signes de légèreté et de spontanéité de ses élans du cœur, et qui réussissent souvent à le convaincre qu’il est bien mieux tout seul, le bernant dans des routines protectrices (qu’il a certainement fini par adorer). Excellente nouvelle et régal de lecture en perspective : c’est le sujet du roman dont il va bientôt démarrer l’écriture !

J’aime beaucoup Joseph et je vous invite à le découvrir, par sa musique romantique et trash, totalement addictive (mais suis-je objectif ?), mais plus encore, invitez-le à vos soirées (ne le laissez pas trop boire), profitez de ce bel être humain, de sa compagnie riche de culture et d’humour cash, de ses regards décalés et saillants qui, à minima, étofferont la profondeur de vos perspectives. Vous me remercierez plus tard, ou pas. 

Gildas Secretin

 

 

LES ESSENTIELS DE CENTREDUMONDE (AKA JOSEPH BERTRAND)

Une paire de lunettes
A l’approche de la cinquantaine, il m’est devenu impossible de voir de près sans lunettes, et donc de lire des livres. Curieusement, et même si la littérature est ma passion première, voire ma passion primordiale (enfant, je me voyais écrivain, paisible, dans mon bureau, conquérant le monde à coups de phrases alambiquées et de points de vue éclatants), cette contrainte nouvelle m’a définitivement coupé l’envie d’ouvrir un livre, d’autant plus que j’ai lu tous les livres que je voulais lire, et que l’acquisition d’une puissante culture littéraire (oui, j’ai vraiment TOUT lu) n’a fait qu’élargir le fossé intellectuel entre moi et le monde, qui se passe si bien de moi et de littérature.
Pour l’anecdote, j’ai payé cette paire de lunettes de la marque Andybrook – sise à Maisons-Alfort – assez chère, à cause d’un vendeur super sexy (il ressemblait à Adam Driver) dont je voulais me débarrasser au plus vite, parce qu’en face de lui je ne me sentais pas du tout sexy. Par ailleurs, je cherchais des lunettes tout à fait anecdotiques. Les lunettes, c’est comme les bagnoles et les montres, au-delà de leur aspect utilitaire, on envoie un message qui se résume à « Mes boules sont plus grosses que les tiennes » et moi, ça m’oppresse, les losers qui surcompensent.
Alors voilà, mes lunettes sont anecdotiques, voire moches, je ne les aime pas, mais après quelques mois passés à les apprivoiser, j’ai pu me remettre à lire, et en ce moment, je ne sais pas si c’est lié à ma florissante activité de chroniqueur musical pour A Découvrir Absolument, je dévore des biographies d’artistes qui parfois ne m’intéressent pas ou dont je n’ai pas écouté la moindre composition. David Bowie, c’est qui ? J’avais entendu dire, sans trop y croire, que vers la cinquantaine on laissait tomber la fiction pour des horizons plus concrets, ouvrages d’histoire ou d’économie, pourquoi pas. Ceci dit, quand j’étais plus jeune, je ricanais en m’imaginant écouter, à un âge avancé, du jazz, un verre de brandy à la main, en tapotant du pied, ce genre de truc, bah c’est pas près d’arriver. Ce que je veux dire, c’est qu’en vieillissant, on ne peut pas tout abdiquer.

Une manette de Playstation 5
Chaque été, je m’affronte, frôle la folie et en sort (je l’espère) grandi. Quand mes enfants sont en vacances, je reste à Paris, je ne fais rien, je ne vois personne. Le soir ne m’attendent que la solitude, les bières et les saucisses Knackis. Alors, jour après jour, je sombre dans une apathie protectrice, je suinte du cerveau, je fonds, je me laisse dégouliner jusqu’à l’exécration de moi-même. Mon appartement devient Shutter Island, on ne sait plus qui préserve qui de quoi, j’écris et compose en vain tant et tant que je me perds de vue : invariablement, les jeux vidéos me permettent de me raccrocher aux branches.
En 2023, Dysmantle : on casse des objets, on fabrique des trucs et on castagne des zombies, tout en se demandant ce que l’on fout là, jusqu’à ce que [spoiler] l’on comprenne que c’est à cause de nous que le monde est devenu un buffet Flunch. Bon, Dysmantle est anecdotique et la grande majorité des jeux vidéos s’adressent à un public de demeurés, mais depuis l’enfance je joue régulièrement et je peux sans honte affirmer qu’à toute époque il existe des chefs-d’œuvre vidéoludiques. Il s’agit d’un art total – narration, design, graphisme, musique, etc. – susceptible de vous embarquer pour un voyage à durée indéterminée. L’année dernière, j’ai passé une bonne centaine d’heures à me promener dans les rues de Night City, la ville futuriste de Cyberpunk 2077, ou bâtir dans Minecraft un château souterrain situé à l’intérieur d’un pont géant. J’ai conscience des impérities d’une industrie qui produit autant de merdes que leurs congénères hollywoodiens (les scénarios des jeux Ubi Soft semblent écrits par les mêmes idiots qui œuvrent pour Amazon et Netflix), mais je conserve au fil des décennies une grande tendresse pour ce média, au point de lire des magasines de retrogaming et de suivre certains Youtubeurs, dont el famoso Joueur du Grenier, l’infâme Sheshounet et, surtout, l’attendrissant Edward – son émission Rétro Découverte est un régal.

Paquet de spaghettis
Simple : hormis quand les enfants sont chez moi, je ne mange que des pâtes et des saucisses Knackis. Les Knackis, je carbure à deux paquets par semaine. Dîner de roi, environ 200 grammes de pâtes au beurre saupoudrées de parmesan râpé (un demi-sachet), quatre Knackis noyées dans de la sauce algérienne et, un peu plus tard, une ou deux glaces. Je pensais qu’avec le temps j’allais me lasser des Knackis mais à chaque repas je me régale, vous m’entendriez, je m’extasie. Ceux qui me connaissent savent.
Par contre, en vieillissant, je me suis lassé de certains trucs, comme les bonbons, les pizzas, le pain, la junk-food, tout ce qui donne soif, quoi. La clé, c’est l’hydratation, donc je cartonne sur les fruits et les crudités. Ah ah, je rêve, je diserts sur mon rapport à la nourriture, passionnant ! Quelques monomanies disparues en raison d’overdoses : les sauces au pesto, les bulots, les pizzas couvertes de pâtes. Bon, vous vous posez la question, je vous réponds : je mesure 1,84 mètres et pèse 79 kilogrammes. Oui, pas un pet de graisse, sans JAMAIS faire de sport. La vie est injuste mais sachez que mon sport à moi, c’est l’anxiété, l’angoisse métaphysique et la panique mentale, de bien particuliers coachs en fitness qui vous traînent de force à la salle de gymnastique, on s’en passerait, hé hé.

Peinture d’un chien
Depuis que j’ai divorcé, au début des années 2010, j’ai une vision très claire de moi dans le futur, vision certes rébarbative (on m’a déjà fait remarquer que mon projet n’était pas très inclusif – je veux dire, ne laisse pas de place au couple), mais réjouissante, à tel point que j’ai presque hâte d’être vieux. Imaginez : moi, assis devant un petit chalet, en haut d’une montagne, à ma gauche un gros chien, à ma droite une bouteille de vin rouge, et dans la main un fusil de chasse, et dans le chalet pas grand-chose, peut-être un ordinateur et une guitare, et surtout la possibilité de me faire exploser le crâne quand je le souhaite, histoire de finir en beauté, comme ce bougre d’Hemingway. Ou de Kurt Cobain. Ah, ça fait moins rêver. Et puis avant de me fourrer le canon d’un fusil dans la bouche, il faudrait que je mène la vie d’Hemingway.
Pour l’instant je suis plus proche d’un personnage secondaire de Michel Houellebecq, misère et néant à tous les étages. Le chien a vraiment existé, la porte aussi, il s’agit d’une toile peinte par mon grand-père paternel, dans son atelier en Bourgogne. Je pourrais évoquer l’environnement socio-culturel dans lequel j’ai grandi, qui me paraît intéressant car bigarré et structurant mes névroses tout autant que mes centres d’intérêts, mais ce matin j’ai un peu la flemme. J’attends qu’un technicien passe pour réparer mon chauffe-eau et enfin prendre une douche, parce que depuis cinq jours je ne dispose que d’eau froide, ça me tape sur le système.
Revenons-en à cette peinture, que je trimballe depuis années, qui n’est pas représentative de l’œuvre de mon grand-père, et que j’aime beaucoup, parce qu’au delà des couleurs chaudes, avoir un chien dans mon salon m’apporte un certain réconfort. Il y a des soirs où je suis bourré alors je me dis « Mec, pourquoi tu t’achèterais pas un chat ? » et je trouve l’idée absolument géniale, d’autant plus géniale que mes enfants seraient aux anges. Heureusement, je dessaoule puis me rappelle que je déteste les chats et encore plus les célibataires avec chats, les pires losers du monde. Bref, je me contente de mon basset hound posé sur l’étagère, pas besoin de le sortir trois fois par jour, ni de passer l’aspirateur sur le canapé ou de me sentir obligé de partager ma côte de bœuf avec lui, mon basset hound, je l’aime comme il est et on attendra le futur pour en acheter un vrai, ainsi qu’une cave à vin et un fusil.

Deux canettes de Heineken
Comment gérer quand on est un poivrot, mode d’emploi. J’aime boire beaucoup, beaucoup, beaucoup de bières et rien à foutre de la bière en elle-même, je ne suis pas un homme de goût, non, je suis un homme de volumes : entre quatre et cinq litres de bière industrielle (j’oscille entre Heineken et 1664) me permettent de rester conscient tout en profitant de la débandade de mon esprit. Des heures durant j’écris, je compose, j’écoute de la musique, je danse dans mon salon, je note de magnifiques idées qui finiront à la poubelle, j’échafaude des plans (foireux) sur la comète (en feu), je parle tout seul, je débats, je me dispute, je me raconte des blagues que je ne connais pas, je ris, définitivement je suis mon meilleur pote. Je passe toujours un excellent moment en ma propre compagnie.
Quand je suis rassasié, c’est à dire arrivé à mon pic d’ivresse (entre quatre et cinq litres de bières, même si record à sept litres – pour le vin rouge, c’est quatre litres), je n’ai plus du tout soif, mais super faim, alors je me jette sur un truc copieux qui va éponger l’alcool, comme une boîte de conserve de lentilles à la saucisse ou une montagne de pâtes. Ensuite, je range mon appartement, je me brosse les dents et me couche, il est rarement tard (entre 23 heures et minuit), je dors comme une souche et le lendemain je me sens juste un peu vaseux. Pas de quoi fouetter un viking.
Le truc, avec l’alcool, c’est que ce n’est pas assez valorisé. Je veux dire, on devrait admirer un type qui s’envoie cinq litres de bière tout en écrivant des chroniques musicales ou enregistrant des (excellentes) chansons puis au bureau le lendemain assure comme un ouf. Les gens devraient dire « Putain, c’est Centredumonde, c’est un dieu de la liche, j’aimerais tellement atteindre son niveau ». Les gens devraient me jalouser, mais non, quand j’évoque mon ivrognerie, je sens bien que ça me décrédibilise. Taper dans un ballon, croire en un dieu, se pimper le corps à coups de tatouages dégueulasses, c’est admirable, mais picoler, non. C’est n’importe quoi.

Une mandoline
Au travers de cette mandoline, achetée (cassée) (donc pour une bouchée de pain) dans une ruelle de Prague en 2003, vaguement réparée à Brest, on pourra analyser mon rapport étrange à la musique et aux instruments, et peut-être faire la promotion de « Ubac », le nouvel EP de Centredumonde, que je trouve très réussi, car super triste, il va vous péter le moral, si vous en avez marre d’être heureux, n’hésitez pas, écoutez Centredumonde, ce type est glauque, ce type est marrant, ce type est… bref. Soupirs.
Mon rapport à la musique, c’est compliqué : je me considère comme un musicien patate, dans le sens où je joue et chante comme une patate. Ma carrière de musicien patate commence dès l’enfance, je chantais si faux qu’on me donnait de l’argent pour que je me taise. Nan, j’exagère. Mais je dois admettre qu’en matière de guitare et de piano je vivote sur les deux trois trucs appris durant mon adolescence : certes, j’aurais pu progresser, et je me dis souvent que c’est gâché de n’avoir pas appris à réellement jouer d’un instrument, et que ce n’est pas trop tard, je peux m’y mettre dès à présent, mais voilà, il y a la mort. La mort depuis toujours me freine. Elle susurre à mon oreille : pourquoi prendre la peine de te lancer dans un projet dont tu ne verras peut-être pas l’issue ? Pourquoi apprendre quelque chose maintenant, à ton âge, tandis que je me rapproche de toi et que tu ne pourras récolter les fruits de tes efforts ? Pourquoi désirer si fort quelque chose qui assombrira ton passé : as-tu envie de te lamenter et soupirer sur le temps passé perdu à ne rien faire ? Vous voyez, la mort est une saloperie qui me parasite littéralement. N’agis pas, tu peux crever n’importe quand. Et moi je lui obéis.
Alors certes, j’enregistre des chansons, mais c’est une question de format, quand je me débrouille bien, c’est rapide. Alors qu’un roman, ça me demanderait une année entière, je suppose. Évidemment, avec le temps j’ai trouvé une parade : si tu dois mourir en chemin, fais en sorte que ce soit dans le sens de la marche. Mouais, je sais, ça n’aide pas vraiment et, jusqu’à mon dernier jour, je resterai un musicien patate. Quant à la mandoline, j’ai rapidement appris à en jouer, on peut l’entendre sur certaines chansons des 2000s, elle a un son pourri (comme toutes mes guitares) et, oh mais quelle surprise !!!, bah aujourd’hui, je ne sais plus en jouer.

Partition de Songs Of Love And Hate
Leonard Cohen, c’est le gars qui m’a fait comprendre qu’un texte de chanson devait raconter quelque chose et, à ce titre, Famous Blue Raincoat est un modèle du genre : le mendiant musicien de Clinton Street, Jane et la mèche de cheveux, la rose entre les dents, le rapport ambigu au destinataire de la lettre, etc., il y a une mise en scène en clair-obscur, avec une tension sous-jacente et des non-dits tout aussi parlants que l’explicite, ouah, le nain de Montréal place la barre très haut. Cette partition appartenait à mon père, j’ai mis le grappin dessus dans ma jeunesse et depuis la conserve précieusement. Elle est couverte d’annotations, surtout des transcriptions d’accords à la guitare, puisque je ne lis (évidemment) pas le solfège.
Pour en revenir à l’écriture des textes, je n’ai pas de chapelle. J’ai constaté que, la plupart du temps, les gens s’en foutent, des textes. Il ne les écoutent pas, ou pas vraiment, ce qui fait que vous pouvez vraiment écrire n’importe quoi, et tant qu’à écrire n’importe quoi, vous pouvez écrire un truc qui vous fait plaisir et dont vous serez fiers ou qui vous parle et vous touche vous en premier lieu. Bah oui, si on n’est pas soi-même touché par ce que l’on écrit, ça n’a aucun sens. Il m’arrive de verser des larmes d’extase quand je me relis, tant mon texte est beau et puissant et lumineux. Bah non. Parfois j’écris des textes bouche-trous, comme tout le monde, parfois je ne sais pas de quoi je parle ni à qui je m’adresse, parfois je suis content mais le seul sur terre à m’admirer, pas grave. Par contre, pendant longtemps j’ai pensé que le choix du titre d’une chanson, c’était important. Un titre qui claque, ça fait envie, non ? Voici une liste de chansons de Centredumonde dont les titres claquent au vent comme un étendard de pirate mal luné : « Quand je t’embrasse dans la rue, j’ai peur de marcher dans la merde » / « Le jogging sociabilise les obsédés sexuels » / « Un hiver de merde » / « L’alcool, la clope et le moisi » / « Tout le monde a raison, tout le monde est con ». Convaincus ? Moi non plus. Et donc, désormais, je me fiche aussi bien des textes que de leurs titres.

Un flacon de parfum
J’aime bien sentir bon. Je veux dire, sentir un parfum qui sent bon. Parce que je sais que des tas de gens trouvent que Axe ou Scorpio ou Paco Rabanne, ça sent bon. J’ai été surveillant dans l’internat d’un lycée professionnel : au petit matin, les mecs se vaporisaient du Axe sur la bite avant d’aller en cours, persuadés d’augmenter leur pouvoir de séduction. Moi, c’est Égoïste, de Chanel. C’est discret et le nom me parle. L’égoïsme, c’est un de mes défauts que je tolère le plus. Il y a que l’égoïsme sert souvent de prétexte à un autre qui se montrera plus égoïste que vous : puisque tu ne veux pas aller dans mon sens, tu es égoïste.
A une époque, mon frère cadet travaillait chez l’Oréal et nous envoyait des colis de parfums gratuits, principalement du Armani et du Hugo Boss. J’aimais bien, même si je ne suis pas le public cible de ces marques frimeuses. Ensuite, vers 2016, une chouette girlfriend m’a offert un flacon de L’Homme, d’Yves-Saint-Laurent : j’ai réussi à le faire durer bien après la fin de notre relation, je culpabilisais un peu de profiter de sa générosité quand bien même elle avait oublié que j’existais. Il y a quelques mois, je suis revenu vers Chanel, comme s’il s’agissait de retrouver des sensations de jeunesse perdue, ou une terre que vous avez arpentée de long en large. Vu que je ne sors plus de chez moi, ce flacon va durer mille ans.

Une paire de bottines marron
Plusieurs centaines de principes régissent mon existence, dont : « Les chaussures en cuir à lacets, c’est pour les enfants ». En conséquence, vous ne me verrez jamais chaussé autrement qu’en bottines, sauf quand j’en ai rien à foutre et que je porte des baskets de merde. Un principe sans exception n’a aucun charme. Il y a quelques années, j’ai acheté aux galeries Lafayette deux paires de bottines de la marque française Kost, une paire en cuir noir, une paire en cuir marron, dont je suis très content, même si on se situe sur le bas du milieu de gamme. Récemment, elles m’ont lâché mais j’ai pu compter sur un formidable cordonnier de la rue Saint-Denis (Cordonnerie Rétro by Michael) pour les sauver.
Au delà du plaisir que j’ai à porter des bottines en cuir, se pose la question de mon apparence, que je trouve bien trop relâchée à mon goût : il y a que je suis pauvre, paresseux et ne dispose que d’une garde-robe réduite. A une époque, c’était Kenzo, Zadig & Voltaire ou The Kooples, hop un divorce passe par là, et vous vous retrouvez à errer entre H&M, Zara et Mango, la lose.
Flemme d’essayer de bien se fringuer, puisque c’est perdu d’avance. Je me contente de ressembler à ce que je suis socialement, un bureaucrate semi-pauvre sans excentricité ni qualité esthétique particulière, brioche de pré-cinquantenaire, cheveux rares et dentition trouée, la perle rare, quoi. Ouais, je ne suis pas ce genre de type qui donne le change, comme les blaireaux qui tentent d’adopter les codes des nouveaux riches, costumes cintrés mais trop cintrés, dans une matière dégueulasse, montres en toc, chaussures brillantes en faux-cuir ciré au Baranne, lunettes de soleil en permanence, débit heurté, ce genre de tocards qui pullulent sur Youtube et vous abreuvent de conseils supposés vous enrichir. Mec, si tu étais aussi pété de thunes que tu le prétends, tu ne posterais pas chaque jour des vidéos sur les réseaux sociaux. Coucou Jean-Pierre Fanguin et sa mythique « La question, elle est vite répondue » ! Ceci dit, quand j’y pense, les connards déguisés en rockeurs, qui veulent à tous prix que l’on comprenne qu’ils sont rock’n roll dans leurs têtes, que ce soit par le langage ou l’apparence, je les exècre tout autant. En fait, de manière générale, j’aime pas les gens qui se décryptent trop facilement, dont tout le corps crie une identité et des préférences culturelles dont je me contrefous, comme s’ils se baladaient en permanence avec sur le dos une pancarte publicitaire vantant leurs propres mérites : le capitalisme appliqué à l’échelle individuelle, pas ma tasse de thé.

Un 45-tours de Centredumonde
La première trace discographie de Centredumonde : un vinyle quatre titres publié en 1998 par le label brestois Les Tartines, qui m’avait laissé une carte blanche totale et n’a pris connaissance des morceaux enregistrés qu’une fois les disques pressés. J’en ai dessiné la pochette, elle est moche mais dans l’esprit de l’époque, où malgré le massacre commis par la FNAC et autres bourreaux du vinyle (qui aujourd’hui se prétendent garants de ce format tout en vendant des galettes à quarante euros – je les hais), les petits labels, et pas seulement en musique électronique, parvenaient à exister au travers d’un maillage de listes de diffusion et de fanzines.
Ce disque a été suivi par quelques CD et cassettes audio, mais depuis 2020 je me contente de diffuser mes chansons via Bandcamp et de les proposer en téléchargement gratuit, en assurant une légère promotion sur Facebook – j’ai consulté les statistiques de ma page Bandcamp : 12 500 écoutes, réparties sur 143 morceaux. Ouais, mine de rien je suis prolifique, mais il y a pas mal de démos datant des âges glorieux, quand je vivais à Brest, grosso modo entre 1998 et 2004. Je me dis que le gratuit, c’est éthique, à une époque où la culture ne subsiste que grâce à l’argent public, et où des types tels que Pascal Bouaziz chouinent parce qu’ils galèrent à vivre de leur art, et que c’est pas juste, et qu’en plus le public c’est des méchants parce qu’ils n’écoutent pas Pascal Bouaziz. Je ne supporte pas ce genre de discours : mon pote, tu galères à vendre ta musique, bah fais autre chose. Plus généralement, l’intermittence, c’est un scandale. Les mecs n’ont aucun complexe, pour justifier de vivre aux crochets de la société. Entendu mille fois : « Ouais, tu comprends, sans intermittence il n’y aurait plus d’art et alors le peuple n’aurait plus accès à la culture et alors ce serait le fascisme. » Ah ???
Pour ma part, je prévois de fêter mes cinquante ans de la manière suivante : sélectionner mes dix chansons préférées de Centredumonde et faire presser un beau vinyle que j’adresserai gratuitement aux cent premières personnes qui le souhaiteront. Et non, pas de crowfunding, le crowfunding, c’est tricher : le fric sortira de ma poche. Ce qui à vue de nez me laisse deux ans pour économiser et dilapider deux mille euros. See you soon en 2025 !

 

Joseph Bertrand
Mars 2024


Plus d’informations à propos de Centredumonde (aka Joseph Bertrand)
centredumonde1.bandcamp

Mes Essentiels pour Stereographics par Joseph Bertrand
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