Francois Huguenin


LES ESSENTIELS DE FRANÇOIS HUGUENIN

La quête passionnée de sens est la seule chose qui fasse que la vie mérite d’être vécue. Cela passe bien sûr par les relations d’amour, d’amitié, familiales, sur lesquelles je resterai pudique ici, mais aussi par toutes les expériences intellectuelles et artistiques qui ont contribué à me permettre d’être ce que je suis devenu, et donc d’être plus vivant. Je vais donc rendre hommage à des artistes, des écrivains, des penseurs qui m’ont fait vivre intensément. C’est pourquoi je n’aime pas le mot de culture, trop souvent cantonné à des savoirs et des codes, et, pour le pire, à des poses. Soyons clair, la musique, le cinéma, la littérature ne m’intéressent que parce qu’ils me touchent existentiellement, qu’ils me rejoignent au plus intime, qu’ils me font être ce que je suis. A contrario, la danse, les arts plastiques, m’émeuvent rarement au plus profond, et courir les expositions ne m’intéresse guère. De même, un cinéaste comme Welles, un musicien comme David Bowie, un écrivain comme Proust sont évidemment des géants, mais ils ne me touchent pas. Je les laisse volontiers aux autres, comme la blanquette ou les vins de Loire rouges.

Tout a commencé avec la musique classique, dans la petite enfance. J’ai aimé passionnément Mozart, puis, le baroque (et notamment Bach), et je les aime toujours. Mais à 58 ans, j’ai accepté que la musique qui me touche le plus est le romantisme ou les périodes qui l’annoncent (Beethoven) ou le poursuivent (Mahler). C’est pourquoi je voudrais placer dans mes disques de chevet les Nocturnes de Chopin, dans l’interprétation de l’immense Maria-Joao Pires, qui donne la primauté au chant. Le 20e, posthume, en do dièse mineur, est peut-être la plus belle pièce de piano que je connaisse. A l’autre spectre, dans la musique symphonique, je place au sommet la 9e symphonie de Mahler, dans la version live de Leonard Bernstein, dont la force de vie et le lyrisme n’ont pas d’équivalents, au pupitre de Berlin. Et puis, je reviens toujours aux mouvements lents des dernières sonates de Beethoven (op. 106, 110 et 111 notamment) par Wilhelm Kempff, parce que lui aussi donne la première place au chant, avec une retenue bouleversante. Et à ceux des quatuors de la fin, dont la lecture du quatuor Alban Berg me comble par sa clarté et son âpreté.

La pop est venue, grâce aux amis rencontrés sur les bancs de Sciences-Po, notamment Yves Coll. Je retiens dans la myriade des trésors des années 65-69, les Beach Boys, car Brian Wilson est pour moi le plus grand génie pop. Pet Sounds est d’ailleurs le premier album que j’ai découvert, aux environs de l’âge de dix ans, en l’empruntant à la discothèque de la Part-Dieu, à Lyon, parce que la pochette aux biches m’avait envoûté. Je l’ai redécouvert à 20 ans, avant le sublime Smile, exhumé plus tard par Brian Wilson. Et puis, de mes années de jeunesse, dans l’ébullition post-punk, je retiens au plus haut rang Elvis Costello, avec ce miracle : je disais à mes amis que je rêvais d’entendre Costello avec un quatuor à cordes, et les Juliet Letters sont arrivées en 1993, exauçant ô combien mon vœu avec le Brodsky Quartet. Enfin, je ne peux pas ne pas mentionner les Nits qui, au-delà des albums sublimes, dont Ting est à mon sens le sommet, est le plus grand groupe de scène que je connaisse, d’une poésie rare et modeste, d’une qualité d’exécution incomparable. Urk témoigne de ce don de la scène. Toute cette pop est en anglais, et cela présente un grand avantage pour moi. Etant d’un niveau assez médiocre en anglais, les paroles ne viennent pas faire obstacle à la musique, à l’émotion brute qu’elle vient susciter, sans passer par l’analyse (ce qui est très salutaire pour un cérébral comme moi).

Avec la musique, ce fut la lecture. J’ai eu la chance de savoir lire très jeune, et de lire des livres d’adultes à partir de 5 ou 6 ans. Mais, il m’a fallu attendre trente ans pour faire une découverte qui a modifié mon rapport à la littérature, le transformant d’une boulimie au demeurant passionnée, à un rapport existentiel avec un auteur. Cet auteur est Julien Green, que m’a fait découvrir Michka Assayas, et qui, pour la première fois, m’a fait ressentir qu’un écrivain était venu écrire pour moi. De cette œuvre singulière, je retiens, parce qu’il faut en dégager un, L’Autre, qui est mon roman préféré. J’ai pu témoigner de ce lien unique entre un lecteur et un auteur, dans ce que je considère comme mon livre le plus personnel, La Nuit comme le jour est lumière (Le Cerf, 2022), qui est un essai littéraire très à part dans ma production. Il aura fallu attendre l’année 2023 pour que je ressente un même choc littéraire, avec la découverte du romancier japonais catholique Shūsaku Endō, dont je ne citerai ici que le roman Scandale. Comme Green, c’est par un ami, le philosophe Denis Moreau, que je l’ai découvert. L’amitié est essentielle dans le passage des œuvres et fait changer les trajectoires des existences par ce qu’elle donne à aimer. D’ailleurs, ma meilleure amie (car je crois aux amitiés homme-femme), Dominique, est comme moi une greenienne accomplie.

Le cinéma est arrivé plus tard car il m’avait été interdit dans ma jeunesse. J’ai découvert, étudiant, un univers inconnu, mais, là aussi, il a fallu que j’attende trente ans, pour, toujours sur les conseils d’un ami, Jean-Marc Régent, que j’aille découvrir Bergman, lors de la légendaire rétrospective du Saint-André des Arts. Comme avec Green, j’ai compris ce jour-là que j’attendais du cinéma qu’il m’explique l’énigme que j’étais à mes yeux. Bergman est celui qui m’a fait comprendre ce qu’il y avait au plus intime de moi. Je mettrais au premier rang Les Communiants, dont j’ai toujours pensé que c’était un film qui ne rompait pas avec la religion, comme l’a répété paresseusement une critique, pour le coup atrophiée par des œillères en partie coupables. En découvrant les Carnets de Bergman, tout récemment publiés en français, je me suis aperçu que ma lecture de ce film était aussi la sienne ! Le cinéma pour moi est l’art du passage de la grâce, celui de rendre visible l’invisible comme l’a théorisé André Bazin. Dès lors Bresson (Pickpocket), Dreyer (Ordet) ou Malick (The Tree of Life) ont rejoint Bergman dans mon panthéon. Je suis redevable à mon ami Yves Coll de m’avoir fait connaître autant de réalisateurs qu’il m’avait fait connaître de groupes pop lorsque nous étudions à Sciences-Po.

La dernière passion « intellectuelle » est un peu d’un autre ordre, puisqu’il s’agit de l’histoire des idées politiques, discipline « impure » comme le disait encore Bazin pour le cinéma, trop historique pour les philosophes et trop conceptuelle pour les historiens. C’est pour cela que je l’aime et que je l’enseigne, car la compréhension des choses est toujours et conceptuelle et historique (d’où la puissance de la thérapie analytique que je connais bien). En plus de quarante ans de lectures, mon carré d’as est composé de La Politique d’Aristote, montrant que l’homme est naturellement un animal politique, de La Cité de Dieu d’Augustin, distinguant clairement le politique et le religieux (contrairement aux idées reçues), de De la démocratie en Amérique de Tocqueville (montrant la force irrésistible et les risques de la démocratie pour la liberté) et de l’œuvre contemporaine de Alasdair MacIntyre, dont j’ai eu la joie d’éditer en français le grand livre politique, L’Homme, cet animal rationnel dépendant. L’histoire des idées politiques a également une place particulière pour moi puisque 4 de mes 9 livres sont des livres d’histoire des idées. Comprendre cette histoire de la pensée est aussi, et profondément, une manière de me comprendre, de saisir d’où je viens, et peut-être où nous allons, mais cela est moins certain ! Disons que je me définis comme un moderne qui est persuadé que les ressources de la pensée classique sont indispensables pour sauver la modernité politique. Je l’ai compris notamment en lisant les articles essentiels de Joseph Ratzinger dans la revue Communio, celui même qui deviendra Benoît XVI et qui a été essentiel, avec Julien Green, dans ma compréhension intime de ce qu’était la foi chrétienne qui est la mienne et qui est le centre de ma vie.

J’aimerais terminer sur deux ouvertures plus légères. Car j’ai deux autres passions. Tout d’abord le vin, et là aussi, il y a une histoire d’amitié, avec mes amis Parcé, vignerons en Collioure et en Maury. Le rouge du domaine Augustin et la cuvée Terres Nouvelles blanc du domaine de la Préceptorie sont ceux que j’aime le plus, car je suis un inconditionnel du grenache rouge et du grenache gris, ainsi que des terroirs où sont implantés ces vignoble, qui sont les plus sudistes de France !

Enfin, comment ne pas citer, au chapitre des émotions, celles que nous apporte la communion dans les grandes épreuves sportives. La victoire du Blaireau, Bernard Hinault, aux championnats du monde 1980, celles de l’équipe de France de football dans les coupes du monde 1998 et 2018, et la remontée fantastique de Floria Guei dans le relais 4×400 m des championnats d’Europe d’athlétisme, à Zurich en 2014, m’ont fait vibrer comme peu de moments dans ma vie !

François Huguenin
Juin 2024


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Mes Essentiels pour Stereographics par François Huguenin
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Jean-Noël Dastugue

Jean-Noël Dastugue

LES ESSENTIELS DE JEAN-NOËL DASTUGUE

Takamine EN-10C
Ma guitare électro-acoustique m’accompagne depuis plus de 30 ans. C’est mon graal, mon précieux.  Elle a connu mes plus grandes joies mais également mes secrets chagrins.
A défaut d’avoir le même jeu de guitare, je voulais avoir le même son que Paul Felix de Gamine. Elle m’a donc suivi dans toutes mes aventures musicales que ce soit avec mon propre groupe Meek ou avec mes projets Disco JetSet 3001B et Daner.
Elle m’a permis de voyager et de faire de belles rencontres humaines avec le groupe Spring. Nous avons fait de nombreuses tournées ensemble. Tous les beaux moments sont gravés pour toujours sur les frettes du manche de ma six cordes.
Il n’est pas un jour sans que j’enchaine quelques suites d’accords – souvent les mêmes. Mon jeu n’a guère évolué mais la corne au bout des doigts est devenue plus épaisse.

Les albums de Spring
Quand l’amitié se mêle au travail. Je suis grandement admiratif des productions de mon ami graphiste Eric Perez. Si j’ai commencé ma carrière professionnelle en qualité de journaliste dans la presse musicale, c’est un peu grâce à lui que j’ai finalement basculé – et ce pour mon plus grand plaisir – vers l’univers graphique des magazines.
Lorsque je travaillais pour une fameuse revue pop moderne, j’étais curieux de voir comment il allait mettre en valeur mes interviews, mes chroniques ou mes jeux de mots par quelques astuces graphiques. Mais là où il m’a surtout bluffé, c’est avec son travail sur les pochettes des disques de Spring. C’est frais et chaleureux, vintage et moderne, iconique et immédiat. C’est tout bonnement intemporel.

Bret Easton Ellis
Je suis à la fac lorsque je découvre Moins que zéro, le premier roman du jeune Bret Easton Ellis. Dans notre imaginaire de l’époque, les soirées avec ma bande, dans la proche banlieue ouest parisienne (entre Meudon et Versailles), ressemblent aux fêtes où se perd Clay, le personnage central du livre. A la différence près, que nos fêtes à nous sont sous aspartame. Elles sont plus légères dans les excès. Chez nous, les amitiés sont solides, les relations sentimentales variées, l’alcool fort, les questions existentielles fumeuses.
On vit à fond sans se soucier des lendemains. On monte des groupes (Meek, Mr Quark, Rodéo,…), on fait des concerts (avec Superdrug, les Pillows, Evergreen, les Autres, Des Garçons Ordinaires…). On monte un studio d’enregistrement (le Lutecia Garden Studio où bon nombre de projets du label Lithium viennent coucher leurs morceaux sur bande). On crée des fanzines (Necklace’s Girl, Blabbermouth,…). On est curieux, on expérimente, on se construit ! Le champ des possibles est grand ouvert.

Dédicace de Morrissey
Chacun connait l’adage selon lequel il est préférable de ne jamais rencontrer ses idoles. Je ne peux qu’abonder dans ce sens. Que dire, que faire face à quelqu’un, dont on connait tout de lui alors que ce dernier, lui, n’a pas la moindre idée de qui l’on est ?
C’est ainsi que je me suis retrouvé face à la personne, qui sans le savoir, a été responsable, en partie, de mon éducation musicale, littéraire et cinématographique, mais également de mon véganisme passager.
J’avais tellement fantasmé ce moment pour le moins improbable. La liste de mes questions était bien plus longue que les déclarations parfois nauséabondes du Mozz. Face à l’homme à la houppette et au verbe acéré, un simple « Merci d’être !» est sortie de ma bouche en évitant de croiser son regard. Frustration absolue mais compensée par cet autoportrait croqué dans mon exemplaire du livre de Linder Sterling, Morrissey Shot.

Monsieur Doudou
Cette peluche appartient à mon fils qui approche aujourd’hui de la vingtaine. Il va sans dire que le doux doudou a été bercé aux sons de Love, des Beach Boys ou de Burt Bacharach, alors que désormais, il bouge son boule sur les compositions urbaines de mon Champion qui se fait appeler dans le game, Shiro.
Et si on est bien loin des grands classiques de la pop, il n’en reste pas néanmoins, que mon travail de transmission de papa n’a pas été complètement vain. En effet, les morceaux de Shiro possèdent une vraie force mélodique. C’est pourquoi, je ne désespère pas d’entendre un jour une envolée de violons et pourquoi pas un sample des trompettes de Reach des Pale Fountains dans la musique de Shiro.

Lithographie de M. Chat
Après ma collectionnite aigüe de disques, je confesse une autre addiction : je me suis découvert une véritable passion pour le street art. J’adore arpenter les rues des villes et de tomber, par le plus grand des hasards, sur une œuvre de mon voisin audonien M. Chat, de sourire devant un masque de Greggos, de synchroniser ma playlist devant un pochoir de Singular Vintage, de me perdre avec plaisir dans les labyrinthes de Kelkin, de vouloir être ami avec le culotté Bobby de Super Bourdi, d’être envahi par l’espace des carreaux de faïence d’Invader…
Le street art me permet de découvrir la ville autrement. De lever la tête, d’être attentif aux détails. Et comme le chantait Diabologum : « L’art est dans la rue », alors profitons-en !

Jean-Noël Dastugue
Février 2023

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My essentials for Stereographics by Jean-Noël Dastugue
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