Sandinista ¿Qué?

The Clash à Mogador, Paris, 1981 © Pierre Terrasson.

Décembre 1980
Je ne connais pas encore New Rose et ce matin-là, je fais les cent pas à la Fnac Montparnasse dès l’ouverture. Un copain qui y travaille m’a appelé la veille pour me dire que le disque avait été livré. Je ne suis visiblement pas le seul à tourner dans les rayons en attendant la mise en bac de l’album. On s’épie du regard, presque complices.
Je me souviens encore des albums posés sur le présentoir, de la surprise du poids du disque dans mes mains, du prix incroyable (que j’ai d’abord pensé être une erreur d’étiquette) et de cette pochette qui élève le groupe au rang d’icônes de mode. Je ne le sais pas encore mais j’ai un trésor dans les mains.

Dans le métro qui me ramène chez moi, l’excitation est à son comble. Je ne peux pas résister, j’ouvre le disque, déplie le livret intitulé “The Armagideon Times, no. 3” que je dévore des yeux. Six faces, en noir et blanc, un nouveau numéro du fanzine du groupe. Arrivé chez moi, je pose religieusement le vinyle 1, morceau 1 sur la platine.
L’explosion “The Magnificent Seven”, hymne immédiat. Puis, le vertige de ces six faces qui n’en finissent plus. Je crois bien que cette première écoute fut un mélange d’incompréhension et d’admiration.

J’écris le numéro des faces sur les pochettes intérieures blanches en guise de repères. Je ne sais pas trop quoi faire de ces trois disques mais je ne peux m’empêcher d’y revenir tout le temps : écouter les six faces dans l’ordre ou sélectionner des morceaux ?
En quelques semaines, cet album gargantuesque est devenu la bande son de mes soirées, au point d’éclipser mes autres disques. Je voudrais en percer le mystère, arriver à en faire le tour. Au fil des écoutes, des morceaux s’installent, d’autres restent obscurs. Je reste comme aimanté par tant de diversité. Trois disques, six faces, trente-six morceaux, cent quarante-quatre minutes et dix-neuf secondes.

Peu à peu, je commence à percevoir l’ampleur de l’album. Les morceaux qui m’avaient d’abord presque ennuyé prennent une nouvelle saveur, celle de l’inconnu. J’ose m’avouer aimer des couleurs jazz, rap, calypso, gospel, blues que jusque-là je ne m’autorisais pas, pétris dans mes certitudes de “young punk”.
Je lis dans les magazines que certains voudraient réduire cet album à seulement quelques chansons (comme Sandinista Now!, la version presse de l’album). C’est mal le comprendre, je crois. C’est justement ce feu d’artifice d’inspirations, cet éclectisme qui en font la richesse : une immensité d’horizons musicaux, de métissages et d’avant-gardisme, sans perdre aucunement l’énergie du punk-rock. Il faut juste lui accorder du temps, beaucoup de temps.


Septembre 1981
Le groupe s’installe pour une semaine de concerts au Théâtre Mogador à Paris. J’y laisse toutes mes économies d’alors mais j’y suis tous les soirs. Je crois n’avoir jamais autant ressenti cette sensation d’assister à un moment d’absolu. Sept soirs de suite, mes chaussures sont couvertes de la poussière rouge de la moquette de Mogador laminée par un public fiévreux et agité.
Sept soirs d’éternité.

 

Épilogue
Quelques années plus tard, mon chat Gustave fera ses griffes sur la large tranche de l’album qui en porte toujours les stigmates. Il m’avait déjà rayé quelques disques en bondissant sur ma platine dont j’avais malheureusement cassé le couvercle. En découvrant son méfait, je me souviens l’avoir soulevé de terre, pris en quatre yeux pour lui expliquer le sacrilège qu’il venait de commettre. J’étais furieux, il me regardais, hagard. Avec le temps, c’est peut-être l’un des plus merveilleux souvenirs que je garde de lui.


Pascal Blua
12 Décembre 2025

Photographie : The Clash au Théâtre Mogador (Paris), 1981 © Pierre Terrasson

 

Stéphane Auzenet

Stéphane Auzenet

LES ESSENTIELS DE STÉPHANE AUZENET

Le disque vinyle.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été hypnotisé par cet objet.

Au mitan des années 80, j’ai d’abord été happé par le hard rock et surtout par ses pochettes. Avant la musique, il y a donc le graphisme, et pour ça, le hard rock savait y faire. Des logos, du cuir, des cheveux longs, des filles, du feu, du sang, des monstres et tous les stéréotypes de l’enfer. Je ne savais pas par où commencer, et évidement, dans ce cas, il faut soit avoir des grands frères ou des grandes sœurs, et de ce que côté là c’était l’impasse, soit avoir des copains, qui eux, par chance, avaient des grands frères ou plutôt, en ce qui me concerne des grandes sœurs.

Je passais mes après-midi du mercredi et du samedi à squatter la chambre de deux filles que je ne connaissais pas, et qui, bien sûr n’étaient pas au courant que mon pote et moi restions des heures à écouter de la musique, à décortiquer les pochettes et leurs symboles subliminaux. Je me souviens précisément de Powerslave de Iron Maiden et sa pochette « Egyptienne ». Mais il y a eu aussi le Kill’em all de Metallica qui m’a marqué à vie. Tant sur le graphisme que sur la musique. C’est avec eux, que j’ai su qu’ils n’avaient pas envie de me divertir, mais de me bousculer.

Et puis grâce aux disques, il y a eu les revues musicales, Enfer Magazine, Hard Rock Magazine. Et puis comme une évidence, il y a eu la première guitare achetée par mes parents dans un dépôt vente de ma ville de la banlieue sud. Une guitare électrique noire sans marque. Pas les moyens d’avoir l’ampli qui allait avec alors je la jouais en acoustique.

Le disque vinyle mène à tout.
Depuis cette époque, j’ai une mémoire compulsive concernant les crédits sur les pochettes, les paroles, les photos. Je n’écoute plus du tout de Hard Rock ou de heavy metal, mais j’ai énormément de respect pour ce qui représente maintenant un sous-genre musical.

J’ai basculé vers la fin des 80’s vers d’autres horizons et je crois que le changement radical s’est fait avec The Clash, U2 et Hubert Felix Thiéfaine. 3 artistes découverts au hasard chez mon cousin, de trois ans mon ainé. Et là encore le même mode opératoire que pour les disques de Hard Rock, il fallait tout regarder, analyser, interpréter et imaginer :
– La photo de Paul Simonon qui est sur le point d’exploser sa basse sur scène. Je m’imaginais la suite. La musique du double London Calling donne une réponse auditive à la photo.
– Le Under a Blood Red Sky avec cette couleur orange, ce profil dans la fumée, la musique qui va avec donne aussi des indications sur l’ambition du groupe.
– Le Thiéfaine était super énigmatique : 2 enfants dans une décharge avec des regards qui ne sont pas de leur âge, des attitudes de « grands ». La musique, elle aussi collait bien à la pochette. J’aurais pu prendre des centaines d’exemples, mais ceux-là sont révélateurs de ma formation musicale.

On entre comme on peut dans la musique, je vous ai fait découvrir mes portes.
Une fois les fondations solides, on découvre ce qui restera.

Après, ce n’est plus du « guilty pleasure ». Ce sont des groupes, chanteurs ou labels que j’écoute encore, et ce depuis des décennies. Les plus fameux : 4AD, avec une identité visuelle, et un catalogue d’artistes exceptionnels ! Combien de temps à regarder les pochettes de Red House Painters, en écoutant les chansons ? Un pont, un Rollercoaster, un lit … Un photographe, un typographe, un graphiste, des musiciens, et une tête pensante : Ivo Watts-Russel. L’Art visuel et auditif, dans son entier.

Factory Records, Sarah, Mute… D’un coup d’œil, il était facile de différencier les labels ! Sur la foi d’un label, j’achetais tout ! Sans écouter. Un groupe qui cohabitait avec « Brighter » ne pouvait qu’être bon ! j’achetais donc tous les 45T (ou presque) de Sarah. L’œil et l’oreille se trompent rarement

Plus loin de nous, Elvis, Byrds, Nick Drake… Et là encore, les pochettes disent beaucoup, influencent une époque, une mode vestimentaire, une coupe de cheveux, une attitude !!!
Sonic Youth a fait connaitre des artistes contemporains grâce à leurs pochettes ! Pavement a relancé la mode du « collage ». Warp a réussit à intellectualiser la musique avec ses visuels ! Plus proche de nous, il y a encore et toujours de superbes logos de « maisons de disques ». Des graphismes improbables, des artisans  qui transforment l’objet disque en une œuvre d’art. La musique passe, évidement en premier mais, pas loin derrière, il y a l’image.

Et quitte à contredire les paroles d’un groupe référence : « Le mal du siècle, ce n’est pas forcément l’emballage ».

Stéphane Auzenet
Mai 2022

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My essentials for Stereographics by Stéphane Auzenet
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