Jérôme Didelot (Orwell)

Les Essentiels de Jérôme Didelot pour Stereographics (Photographie de Thierry Bellia)
“Nos vies se sont croisées au siècle dernier sur les bancs de l’université à Nancy. Mais en vérité je l’avais déjà vu auparavant, sans le connaître à l’époque, chanter quelques minutes sur scène avec Lloyd Cole *, par un heureux hasard.
Je n’aurais pas imaginé un jour débuter nos “carrières” respectives, si l’on peut dire ainsi, et travailler avec lui pendant plus de 10 ans ? 15 ans ?
Quand on aime on ne compte pas.

Autant dire qu’il n’y a donc rien de surprenant pour moi dans les Essentiels de Jérôme Didelot, tout est là, ou presque. Et le voir publier ce nouvel album tel un ultime hommage à Simple Minds n’est pas étonnant non plus, la boucle est bouclée comme on dit. A moins que l’avenir ne nous réserve une comédie musicale sur la vie de Michel Delpech…”

Frédérique de Almeida

* On pourrait croire, à la lecture de cette anecdote, que Jérôme, seulement âgé de 17 ans, avait eu la chance de faire un duo avec Lloyd Cole. La réalité est moins glorieuse comme l’explique le chanteur d’Orwell : “Ma bande de potes et moi étions au tout premier rang et on lui a réclamé la chanson Perfect Skin pendant tout le concert, tellement lourdingues que quand il a fini par la chanter, ils nous a dit : “Come on now!”. Là, mes potes m’ont balancé sur scène. Je me suis fait jeter par un roadie au bout de 30 secondes !”



LES ESSENTIELS DE JÉRÔME DIDELOT (ORWELL)

Le piano droit Rippen
Un peu gonflé, me direz-vous, ce type qui n’a jamais pris une seule leçon de piano et qui choisit justement ce noble instrument en guise d’introduction. Mais ce meuble en bois de marque hollandaise, de qualité très moyenne, est indissociable de mon parcours de musicien. Il trônait dans la salle à manger familiale, ma grande sœur Isabelle a passé des heures dessus à travailler les œuvres de Mozart et Schumann, et lorsque ses nerfs ne lui permettaient plus d’aller plus loin, je prenais le relais sur le tabouret – moi, le petit dernier qu’on avait inscrit au club de foot plutôt qu’au conservatoire – et j’appuyais lentement sur les touches, un peu au hasard, jusqu’à ce que j’entende quelque chose qui me plaise. Ce même piano Rippen est désormais dans mon local de musique, on peut même l’entendre sur certains disques d’Orwell, et finalement ma façon de composer n’a pas beaucoup changé.  

Les chaussures à crampons
Vous l’avez compris, le foot occupait plus de place que la musique dans mes jeunes années. Pourtant, je sentais que ce qui me passionnait vraiment, c’étaient les envolées orchestrales des chansons d’Alan Parsons Project que j’écoutais dans mon walkman, en tout cas plus que les reprises de volée de Michel Platini. J’ai arrêté le foot à 15 ans, un peu par snobisme, c’était un “truc de beauf”. J’ai commencé la musique et les soirées arrosées. Et puis ce sport aussi magique que détestable, par certains de ses aspects, m’a rattrapé. Quarante ans plus tard, j’en suis encore à préparer mes chaussures à crampons pour le match du dimanche matin. Et je ne suis pas rancunier. En 2018, un ballon pris de plein fouet sur le pavillon de l’oreille gauche m’a fait perdre beaucoup en acuité auditive tout en me condamnant à un acouphène irréversible pas très plaisant. Au regard de cette anecdote, le titre de la chanson d’Orwell, Rien ne pourra me rendre sage, prend tout son sens. 

Simple Minds New Gold Dream (et le livre Themes for Great Cities de Graeme Thomson)
Je devais avoir environ 13 ans quand j’ai découvert Simple Minds grâce à Bernard Lenoir, je ne me rappelle pas si c’était sur France Inter (Feedback) au dans l’émission Rockline qui faisait partie de la programmation des Enfants du rock (Antenne 2). Séduit par ce que j’avais entendu, j’avais pris pour habitude d’aller écouter leurs disques dans les bornes de la Fnac de Metz où il fallait apporter le vinyle au vendeur, dont je sentais que je commençais à le gonfler car je n’avais pas souvent l’argent pour acheter ledit vinyle. En vacances dans le sud avec mes parents, je parviens à les persuader de m’acheter l’album New Gold Dream après une opération séduction dans un magasin. Problème : pas de platine dans la location. Alors je me trimballe le vinyle partout, persuade un restaurateur de passer le disque en fond pendant le repas et savoure les quelques notes que je perçois entre les bruits de fourchette. Finalement, le disque craquait déjà comme une antiquité à notre retour. Mais j’ai toujours cet exemplaire et il ne se passe pas un été sans que j’écoute cet album unique à mon sens. Bien plus tard, en lisant le fantastique livre Themes For Great Cities (Constable) de Graeme Thomson, j’ai réalisé à quel point les premières années de ce groupe ont été marquantes. De là a germé l’idée d’enregistrer le mini album de reprises Simple Minded

Sturgeon, le plus qu’auteur (ouvrage collectif)
Je dois aux genres de la science-fiction et du fantastique de m’avoir donné le goût de la lecture. Parmi les bouquins qu’on s’échangeait régulièrement avec mon pote de collège François Botella (Lovecraft, Dick, King…), ceux de Theodore Sturgeon résonnèrent particulièrement en moi. Les premières pages de Cristal qui songe, décrivant le sordide quotidien d’un enfant martyrisé et qui mange des fourmis sans qu’on sache pourquoi, m’ont littéralement happé. En 2018, j’ai eu la chance de coordonner une luxueuse publication sur cet auteur américain, épaulé par Florence Dolisi et Benoît Domis, Sturgeon, le plus qu’auteur (ActuSF).

Deux 45 tours : Michel Delpech Le chasseur et The Korgis Everybody’s Got To Learn Sometime 
Les images marquantes de mon enfance sont souvent sorties du poste de télévision. L’écran placé au centre du salon a contribué à forger ma conviction que les musiciens vivaient dans un monde à part, qu’ils soient grimés dans les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier ou présentés dans les situations les plus étranges dans les premiers clips. Michel Delpech, le bienveillant, incrusté dans un décor bucolique pour chanter ses remords de chasseur ou James Warren, chanteur des Korgis les pieds dans l’eau au milieu d’un hangar, sont pour moi comme des polaroïds imaginaires incrustés dans des albums photos virtuels. Et la vie réserve parfois des surprises. Car ces deux chanteurs ont fini par s’inviter dans ma réalité. Le premier en 2000, lorsqu’après avoir découvert Orwell, il m’a invité à chanter un titre avec lui à la Cigale et qu’il a proposé au groupe de faire sa première partie à l’Olympia. Quel souvenir pour nous et Frédérique, notre manageuse d’alors, de le voir apparaître dans la loge, en chaussettes, pour nous souhaiter bonne chance ! Le second, c’est moi qui l’ai sollicité vers 2004, quand j’ai découvert qu’il était toujours actif avec le groupe Stackridge. J’ai depuis eu l’occasion de collaborer plusieurs fois avec James Warren, et je peux affirmer qu’il est un authentique gentleman doublé d’un songwriter aussi subtil que sous-estimé et doté de l’une des plus douces voix du Royaume-Uni. 

Jonathan Coe Bienvenue au club
Suite de la série “Toi aussi, rencontre tes idoles”. C’est ma compagne, Élise, qui m’a initié aux livres de Jonathan Coe. Et je suis vite devenu un grand amateur de ses histoires à tiroirs et de son regard souvent drôle et parfois cynique sur une Grande-Bretagne qui ne fait pas toujours montre de grandeur. C’est pourquoi ce message chaleureux arrivé dans ma boîte mail un jour de l’année 2007 – si mes souvenirs sont bons – me remplit de fierté. L’auteur avait découvert un titre d’Orwell dans l’excellente émission de radio The Curve Ball de Chris Evans. Notre première rencontre a eu lieu à un concert de Stackridge, premier groupe de James Warren, dont Jonathan Coe est un grand fan… Bienvenue au club ! 

David Bowie, Rainbowman de Jérôme Soligny
Personne en France (En Europe ? Dans l’univers ?) ne connaît mieux la carrière de David Bowie que Jérôme Soligny. Ce journaliste et musicien talentueux – c’est lui qui, entre autres, a composé Duel au soleil pour Daho – a écrit plusieurs ouvrages sur l’artiste britannique. Mais Rainbowman est un “must have”. Je ne suis pas religieux, mais je considère ce livre comme une bible qui offre des clés pour mieux comprendre la production protéiforme de David Bowie, sans lui enlever son mystère. Quelle riche idée d’être allé rencontrer la plupart de ses collaborateurs au fil du temps ! Et il est plutôt rassurant de constater, à travers ces témoignages, que cet artiste si novateur, ce défricheur, s’est beaucoup amusé en créant, laissant beaucoup de liberté à ses partenaires de sessions. Et surtout, qu’il a intensément réfléchi et travaillé pour se renouveler. 

Jérôme Didelot
Novembre 2024


Plus d’informations à propos de Jérôme Didelot
facebook.com/orwellfrenchband
orwell.bandcamp.com
hotpumarecords.com/en/artists/orwell 
orwellmusic.com

Mes Essentiels pour Stereographics par Jérôme Didelot
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