Jean-Noël Dastugue

Jean-Noël Dastugue

LES ESSENTIELS DE JEAN-NOËL DASTUGUE

Takamine EN-10C
Ma guitare électro-acoustique m’accompagne depuis plus de 30 ans. C’est mon graal, mon précieux.  Elle a connu mes plus grandes joies mais également mes secrets chagrins.
A défaut d’avoir le même jeu de guitare, je voulais avoir le même son que Paul Felix de Gamine. Elle m’a donc suivi dans toutes mes aventures musicales que ce soit avec mon propre groupe Meek ou avec mes projets Disco JetSet 3001B et Daner.
Elle m’a permis de voyager et de faire de belles rencontres humaines avec le groupe Spring. Nous avons fait de nombreuses tournées ensemble. Tous les beaux moments sont gravés pour toujours sur les frettes du manche de ma six cordes.
Il n’est pas un jour sans que j’enchaine quelques suites d’accords – souvent les mêmes. Mon jeu n’a guère évolué mais la corne au bout des doigts est devenue plus épaisse.

Les albums de Spring
Quand l’amitié se mêle au travail. Je suis grandement admiratif des productions de mon ami graphiste Eric Perez. Si j’ai commencé ma carrière professionnelle en qualité de journaliste dans la presse musicale, c’est un peu grâce à lui que j’ai finalement basculé – et ce pour mon plus grand plaisir – vers l’univers graphique des magazines.
Lorsque je travaillais pour une fameuse revue pop moderne, j’étais curieux de voir comment il allait mettre en valeur mes interviews, mes chroniques ou mes jeux de mots par quelques astuces graphiques. Mais là où il m’a surtout bluffé, c’est avec son travail sur les pochettes des disques de Spring. C’est frais et chaleureux, vintage et moderne, iconique et immédiat. C’est tout bonnement intemporel.

Bret Easton Ellis
Je suis à la fac lorsque je découvre Moins que zéro, le premier roman du jeune Bret Easton Ellis. Dans notre imaginaire de l’époque, les soirées avec ma bande, dans la proche banlieue ouest parisienne (entre Meudon et Versailles), ressemblent aux fêtes où se perd Clay, le personnage central du livre. A la différence près, que nos fêtes à nous sont sous aspartame. Elles sont plus légères dans les excès. Chez nous, les amitiés sont solides, les relations sentimentales variées, l’alcool fort, les questions existentielles fumeuses.
On vit à fond sans se soucier des lendemains. On monte des groupes (Meek, Mr Quark, Rodéo,…), on fait des concerts (avec Superdrug, les Pillows, Evergreen, les Autres, Des Garçons Ordinaires…). On monte un studio d’enregistrement (le Lutecia Garden Studio où bon nombre de projets du label Lithium viennent coucher leurs morceaux sur bande). On crée des fanzines (Necklace’s Girl, Blabbermouth,…). On est curieux, on expérimente, on se construit ! Le champ des possibles est grand ouvert.

Dédicace de Morrissey
Chacun connait l’adage selon lequel il est préférable de ne jamais rencontrer ses idoles. Je ne peux qu’abonder dans ce sens. Que dire, que faire face à quelqu’un, dont on connait tout de lui alors que ce dernier, lui, n’a pas la moindre idée de qui l’on est ?
C’est ainsi que je me suis retrouvé face à la personne, qui sans le savoir, a été responsable, en partie, de mon éducation musicale, littéraire et cinématographique, mais également de mon véganisme passager.
J’avais tellement fantasmé ce moment pour le moins improbable. La liste de mes questions était bien plus longue que les déclarations parfois nauséabondes du Mozz. Face à l’homme à la houppette et au verbe acéré, un simple « Merci d’être !» est sortie de ma bouche en évitant de croiser son regard. Frustration absolue mais compensée par cet autoportrait croqué dans mon exemplaire du livre de Linder Sterling, Morrissey Shot.

Monsieur Doudou
Cette peluche appartient à mon fils qui approche aujourd’hui de la vingtaine. Il va sans dire que le doux doudou a été bercé aux sons de Love, des Beach Boys ou de Burt Bacharach, alors que désormais, il bouge son boule sur les compositions urbaines de mon Champion qui se fait appeler dans le game, Shiro.
Et si on est bien loin des grands classiques de la pop, il n’en reste pas néanmoins, que mon travail de transmission de papa n’a pas été complètement vain. En effet, les morceaux de Shiro possèdent une vraie force mélodique. C’est pourquoi, je ne désespère pas d’entendre un jour une envolée de violons et pourquoi pas un sample des trompettes de Reach des Pale Fountains dans la musique de Shiro.

Lithographie de M. Chat
Après ma collectionnite aigüe de disques, je confesse une autre addiction : je me suis découvert une véritable passion pour le street art. J’adore arpenter les rues des villes et de tomber, par le plus grand des hasards, sur une œuvre de mon voisin audonien M. Chat, de sourire devant un masque de Greggos, de synchroniser ma playlist devant un pochoir de Singular Vintage, de me perdre avec plaisir dans les labyrinthes de Kelkin, de vouloir être ami avec le culotté Bobby de Super Bourdi, d’être envahi par l’espace des carreaux de faïence d’Invader…
Le street art me permet de découvrir la ville autrement. De lever la tête, d’être attentif aux détails. Et comme le chantait Diabologum : « L’art est dans la rue », alors profitons-en !

Jean-Noël Dastugue
Février 2023

Plus d’informations sur Jean-Noël Dastugue
facebook.com/jeannoel.dastugue

My essentials for Stereographics by Jean-Noël Dastugue
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Sauf-conduit #1. Des bâtiments neufs s’effondrant.

Un sauf-conduit est un document accordé par l’autorité d’un gouvernement à une personne de nationalité étrangère et qui garantit à cette dernière la sécurité et la liberté de mouvement à l’intérieur et à travers les frontières de la juridiction de ce gouvernement.

 

Sauf-conduit #1
Des bâtiments neufs s’effondrant.

/ J’aimerais, de nouveau, me concentrer sur un moment particulier d’un disque et le réécouter jusqu’à ne plus y déceler aucunes nouveautés. Je me faisais cette réflexion en regardant La Bataille de San Romano de Paolo Uccello, ce fantasme d’affrontement où les chevaux de craie, entourés d’armures piquées de rouilles et de sang, présentent une chorégraphie unique. Les armes brisées, pourpres ou ivoires, semblent sorties d’un décor de théâtre. Mais dans ce tableau, ce que je peux voir dans le moindre détail, les yeux pourtant clos, c’est ce lévrier argenté courir après un lièvre, à travers des champs de labour. Les arrières plans, voilà ce qui m’a toujours fasciné dans la peinture de la Renaissance italienne. Ce goût de l’observation demande du temps, les vertueux appellent cela de la contemplation. S’adonner à une écoute frénétique d’un disque et de surcroît à un moment précis de ce disque, nous amène à une forme particulière de satiété, vidant l’œuvre de toute vitalité. Je me souviens avoir ressenti cette émotion ambivalente lorsque vint le crépuscule de mes écoutes d’un album comme Vauxhall & I de Morrissey. Jeune homme et absolument mûr pour les amours imaginaires, j’étais écœuré d’avoir appris par cœur cet ensemble de compositions – une véritable petite mort. C’était pourtant un grand enseignement, cette petite mort. //

/ Une grande bataille, très contemporaine, oppose ceux qui ont conscience que les éléments, les villes, les humains et leurs œuvres puissent mourrir un jour aux si touchants enfants du déni. Kafka disait : « Le meilleur de ce que j’ai écrit se fonde sur cette aptitude à pouvoir mourir content ». Cette tension produite par l’acceptation d’une fin et d’un trait définitif est le charme perdu de la musique. Ressentir cette tristesse qui nous prend lorsque l’on réalise que l’on n’écoutera jamais plus un disque d’une telle façon – dévorante et comme mendiant la moindre note – comprendre, aussi, que le groupe aimé – les Pixies, Slowdive ou encore Grandaddy – va mourir ou plus exactement est bien mort. //

/ On reproche beaucoup de choses aux retrouvailles musicales. Elles tiennent souvent de l’insupportable remake hollywoodien. Des musiques refaites plan par plan, à l’identique. Les albums de Slowdive et de Grandaddy sont moins la reprise d’une œuvre qu’une simple répétition. Pour ce qui est de la reprise d’une œuvre, il faut aller consulter le cas Don Bryant. J’ai donc essayé d’écouter, jusqu’à l’écœurement, le dernier Grandaddy. Aucun arrière plan, jamais de basculement me plongeant de l’état passion à une satiété proche du dégoût, dégoût qui me forçait jadis à ne plus écouter un album durant un temps donné pour mieux m’y replonger après une période de jeûne nécessaire. Non, désormais, il s’agit d’une simple fréquence – l’ennui, l’ennui des groupes qui ne changent pas pour satisfaire des enfants qui ont vieilli. Voilà un bouleversant paradoxe, celui de la pop moderne. Cette impression qu’autrefois les disques nous façonnaient et qu’aujourd’hui, nous leur demandons de nous ressembler.
J’aurais aimé que Grandaddy ne sorte jamais cet album, étant entendu que le groupe était allé au bout de sa proposition musicale avec The Sophtware Slump. Il faut savoir disparaître. Parfois, j’ai l’impression que nous sommes responsables de ces retours pathétiques, nous, pareils à de grands capricieux ne voulant pas croire aux choses qui finissent. Quels mélomanes sommes-nous devenus ? Plus que la qualité de ces retours musicaux, voilà la véritable question. //

/ Ce que j’aime en écoutant les albums des Smiths, c’est qu’à chaque étape de ma vie, leur approche se métamorphose. Voilà le bien précieux de la musique: elle a beau, parfois, appartenir au passé, elle se fait pourtant actuelle et nécessaire, pour chacun d’entre-nous, à un moment donné. Ineffable liberté qui rend la voix d’un mort plus incarnée que notre voisin de table lors d’un déjeuner.
Je crois que mon pire cauchemar serait d’apprendre un matin, sur un quelconque réseau social, la reformation des Smiths. Chacun irait de son commentaire puis viendrait le moment du teaser de l’album que l’on regarderait sur Youtube et pour finir, on écouterait en streaming cette production référencée et bien mise comme un musée. La bataille sera, ce jour là, définitivement perdue et on y sera pour beaucoup. //

 


Lyonel Sasso
Juillet 2017

 

 

Illustration : Paolo Uccello, La Bataille de San Romano (extrait) – Vers 1440