Gildas Secretin

Gildas Secretin © Matthieu Dufour

AU DÉBUT

Quels sont tes premiers émois musicaux et/ou graphiques ? 

Quels souvenirs en gardes-tu ?
Gildas J’ai certains souvenirs où mes émois musicaux et mes émois graphiques sont liés, ce sont des longs trajets en voiture pendant lesquels mon père passait sa musique en boucle. Je me souviens tout particulièrement d’une fois, un mood sonore inquiétant conjugué à un visuel qui avait vraiment interpellé ma petite tête : un cochon flottant dans les airs au-dessus d’un énorme bâtiment sans fenêtres … image irréelle, fascinante, compliquée à relier à la musique. C’était l’« Animals » des Pink Floyd.
Dans cette même famille de « souvenirs sur la route » je me rappelle de la chanson « Shine on you crazy diamonds » (wish you were here) et son graphisme d’homme en feu échangeant une poignée de mains, je me souviens aussi beaucoup des des premiers Jean-Michel Jarre, artworks et musique : la tête de mort sur notre planète (Oxygène) et la couv avec les personnages/oiseaux qui portent des jumelles (Equinoxe), un graphisme qui rappelait un peu celui du dessinateur Caza. Par la suite, j’ai toujours guetté chaque sortie des Pink Floyd pour jeter un oeil au graphisme.

“Je me souviens tout particulièrement d’une fois, un mood sonore inquiétant conjugué à un visuel qui avait vraiment interpellé ma petite tête : un cochon flottant dans les airs au-dessus d’un énorme bâtiment sans fenêtres … image irréelle, fascinante, compliquée à relier à la musique. C’était l’« Animals » des Pink Floyd”

Pink Floyd ‘Animals‘ COURTESY OF WARNER MUSIC

Y a t’il des liens entre ton parcours graphique et ta passion pour la musique ?
Est-ce une démarche volontaire ou le fruit du hasard des rencontres ?
Gildas Il y a de la porosité c’est sûr. Comme je suis graphiste indépendant et que je travaille à mon domicile, il y a de la musique presque en continu toute la journée. Cela conditionne tellement ma création que je dois faire attention à la setlist que j’écoute en fonction de mes projets en cours !… 
Je suis très sensible aux artworks, ils sont la porte d’entrée vers un disque, voir même ce qui peut me pousser à l’achat quand je ne connais pas l’artiste. J’étais donc ravi quand j’ai eu mes premières commandes d’artwork,  un peu stressé aussi, c’était un peu comme un rite de passage. 
Faire ressortir l’univers d’un album en un seul visuel en tout cas c’est vraiment un super exercice, délicat et privilégié. 
J’ai commencé par des artworks pour mon ami Arnaud Le Gouëfflec, puis ensuite pour le groupe anglais Earthling, les belges de Mudflow, La Théorie du K.O, Kuta, Berry Weight etc … les dernières en date sont pour mon ami Centredumonde, qui produit des mini Ep merveilleux à tour de bras, et très bientôt une autre pour le groupe Everminds.

Artworks © Gildas Secretin

Ma façon d’aborder et de travailler le graphisme a d’ailleurs imprégné mon « avatar » musicien : ce goût pour les patchworks et les couches, les mélanges et les accidents… et toute cette cuisine : recherches d’accords / d’arrangements / mixage / paroles… c’est très graphique tout ça, il faut du relief, de la couleur, des émotions…

En musique comme en graphisme, je réalise ma sauce et ma cuisine dans mon coin, sans pression, sans frein. Je ne me colle aucune contrainte, c’est un pur espace de liberté, c’est rare et j’y tiens beaucoup.

GRAPHISME ET MUSIQUE

Certains mouvements musicaux — comme les mouvements punk, low-fi ou encore la techno — ont accordés une place essentielle à l’image et au graphisme. Que penses-tu de cet aspect « visuel » de la musique ?
Gildas Oui le graphisme aide à se repérer, à se diriger… aussi à se démarquer, à s’identifier. Normal que certains mouvements/labels avec une idée claire en tête, ou simplement en quête de visibilité ou de lisibilité, aient soigné cet aspect. L’artwork est l’écrin du disque mais aussi une partie de son message, c’est un premier contact et une interpellation. J’imagine que chaque musicien prend ça très au sérieux c’est évident.

Que penses-tu du « retour » en force du vinyle face à la dématérialisation de la musique et de sa distribution ?
Gildas C’est super (je n’ai pas de platine), j’ai toujours adoré ce format car la part du graphisme y est plus belle.  J’ai été agacé par la dématérialisation de la musique pour plusieurs raisons : parce que l’artiste est complètement floué d’abord; parce que l’accès à tout en un seul click enlève beaucoup au plaisir de la recherche et/ou de la découverte; aussi parce que cela a scellé la fin du rapport à l’objet. Ce plaisir qu’on a tous eu de déballer un disque, l’impatience, peiner sur le blister, chercher la faille, atteindre l’objet, le poser sur la platine, prendre le livret, le feuilleter…S’imprégner du graphisme, de l’image, avant même de toucher au son. J’adore ce petit cérémonial privé alors tant mieux s’il revient à la mode ( je n’ai pas de platine mais le principe fonctionne aussi avec les CD).

Artworks © Gildas Secretin

ARTWORK

En tant que graphiste, comment abordes-tu la réalisation d’une pochette de disque ?
Quelles sont tes attentes vis à vis du musicien ou du groupe avec lequel tu collabores sur une pochette ? Es-tu ouvert à l’apport et l’échange d’une collaboration (photographe, stylisme, etc…) ou est-ce une démarche solitaire ?
Gildas
C’est très rarement un travail solitaire, il y a beaucoup de discussions et d’échanges, l’artiste vient presque toujours avec ses attentes graphiques, sa première idée, rare sont ceux qui m’ont donné carte blanche. On me mets toujours sur des rails graphiques, soit via un style que j’ai déjà développé sur un autre projet, soit via d’autres sources d’inspirations, c’est ensuite à moi de digérer le tout. Il faut être attentif aux attentes, aux demandes, il faut bien s’accorder avec l’auteur. Une chouette démarche assez intime.

La pochette d’un disque permet-elle d’ajouter une “autre” dimension à la musique ?
Gildas —  Ce n’est pas garanti mais oui, je le pense, ce sont deux univers qui cohabitent et coexistent. Idéalement l’écoute du disque devrait « valider » le graphisme. Ensuite, souvent assez naturellement, mais cela dépend bien sûr l’amour que l’on porte au disque, le lien peut devenir émotionnel. Telle la fameuse madeleine, la pochette devient un accès direct à l’univers du disque ainsi qu’à la relation qui nous unit à lui : souvenir des mélodies, de l’intensité musicale, mais aussi surtout des moments qui vont avec, images d’archives personnelles, réminiscences diverses et multiples – pas forcément précises mais toujours émotives -, d’événements ou de moments vécus avec ces sons-là en background. Quand on adore un disque depuis 30 ans ça peut faire un paquet de données.

Un musicien, un groupe ou un labels doivent-il avoir un univers visuel et graphique qui leur est propre ??
Gildas Moi j’ai une préférence pour les visuels qui changent à chaque fois, mais on ne peut pas nier que certains artistes ou labels ont des chartes graphiques qui en jettent.

C’est très rarement un travail solitaire, il y a beaucoup de discussions et d’échanges, l’artiste vient presque toujours avec ses attentes graphiques, sa première idée, rare sont ceux qui m’ont donné carte blanche.”

HALL OF FAME

Quels sont le ou les éléments (images, typographies, message…) qui font une bonne pochette?
Gildas Hm c’est tellement l’univers des possibles le graphisme que ce n’est pas simple de répondre. 
J’ai peu de culture et d’appétence avec les techniques « académiques » : lignes de forces et de fuites, sens de lecture, sciences des couleurs … Que ce soit en graphisme, en musique, en photo (pour tout type d’art) je suis très peu touché par des oeuvres qui reposent essentiellement sur une maitrise parfaite de la technique. Un amateur qui joue du blues avec trois notes de guitare sur une plage avec un ampli pourri peut me toucher beaucoup plus qu’Eric Clapton ne le fera jamais. Au final c’est l’alchimie et l’émotion qui comptent, et qui touchent au but (ou pas). C’est très personnel tout ça, faudrait demander à nos cellules des précisions sur « pourquoi certaines œuvres nous font tant d’effet ».

Chaque cuisine à ses trésors d’ingrédients  et chaque cuisinier ses recettes secrètes, personnellement je trouve rarement un visuel vilain.
Et quand bien même : prenons par exemple la couv du ‘Mellow Gold’ de Beck, qui n’est pas franchement jolie à mon goût, pourtant à l’écoute je sais pas, je trouve que ça colle carrément bien l’univers de la musique. Parfois on a besoin du son pour apprivoiser le visuel.

En graphisme cependant je peux aussi m’émerveiller devant la quantité de travail fournie, même si le résultat ne m’émeut pas.

Ton Top 5 des plus belles pochettes ?
Gildas Je suis incapable de faire un top aussi court… En voici quelques unes qui me viennent sans réfléchir, pas forcement iconiques, mais dont le lien visuel/musique fonctionne bien à mon goût :
Bashung – Bleu pétrole
The Cure – Disintegration
Les Stones – Exile on main street
Bowie – Heathen
Beck – Modern guilt

J’aime aussi les artworks de Radiohead et de Moderat et la simplicité de ces couvs  : 
Neil young – Everybody knows this is nowhere
Iggy pop – Zombiebirdhouse
Beck – One foot in the grave
Bonnie Prince Billy – the letting go
Damon albarn – Mali music
Pj Harvey – Uh Huh her

Et aussi des artistes dont je trouve le travail superbe :
Les M/M évidemment, grande source d’inspiration : Biolay – Bjork – Murat …
Remy Poncet (brest brest brest) : toutes les couvs d’Objets-Disques mais plus précisément certaines de Chevalrex – Midget – Remi Parson…

Merci Pascal !

Gildas Secretin
Septembre 2023


Plus d’informations sur Gildas Secretin :
gwlgraphisme.com 
facebook.com/gwl.graphisme
instagram.com/g.w.l




“Personal Landscapes”
Gildas expose jusqu’au 15 septembre une sélection de créations digitales
à La Moulinette (81 bis rue Lepic, 75018 Paris)

Take A Look At Me Now…

Subtile manoeuvre pour opération marketing en quête de visibilité ou simple démarche artistique d’un artiste qui assume son âge ? “Take a Look At Me Now” est au départ, une simple opération de réédition des albums solos de Phil Collins, remastérisés et enrichis de titres bonus pour cette occasion.
Pour dépasser cette approche classique, Phil Collins a souhaité apporter une touche plus personnelle pour ces rééditions, en récréant le plus fidèlement possible, les pochettes d’époque (très largement des portraits de lui) mais avec son visage d’aujourd’hui.

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L’idée semble évidente et facile à première vue, mais en y réfléchissant, on imagine alors la difficulté du projet pour recréer les conditions originales du shooting
: la pose de Collins lui-même, l’expression de son visage, son regard mais aussi les conditions techniques du studio (sources de lumière, type d’éclairage, traitement du tirage) voir la nature même des appareils et des pellicules utilisés par les photographes à l’époque (très certainement de nature argentique).

Le projet a d’abord nécessité une analyse technique minutieuse de chaque prise de vue originale. Ensuite, une équipe dédiée (directeur artistique, photographe et retoucheur) a recréé en studio les conditions techniques du shooting initial pour chaque pochette. Les directives artistiques sont d’utiliser au minimum les possibilités techniques de la retouche (le projet aurait alors pu être considéré comme une simple performance de retouche) et de s’approcher au plus près de l’image originale lors de la prise de vue.

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Pour cela, une collaboration étroite s’est installé entre Phil Collins lui même, le photographe qui a dirigé le shooting et le studio digital (pour l’occasion directement relié à l’appareil photo).
Pour garder une certaine “fraîcheur”, l’équipe décide que le choix de la photo se fera au jugé, et donc quasiment en instantané lors de la prise de vue. On retient donc l’image la plus proche de la pochette originale et qui necéssite le minimum de retouche. La typgraphie utilisée et la mise en page de la pochette originale sont respectées.
La pochette est ré-éditée.

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Prenez le temps de regarder la pochette originale et la pochette de la réédition, et vous mesurerez le travail accompli, qui d’un coup d’oeil rapide aurait pu vous sembler un simple pastiche, voir passer totalement inaperçu !

 


Pour plus d’informations : philcollins.com

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Disco graphisme récréatif

Discographisme récréatif / Photographie © Patrice Caillet

En parcourant ma bibliothèque récemment, j’ai redécouvert cet ouvrage que j’avais un peu oublié… Et pourtant ! Il y a eu, me concernant, un avant et un après “Discographisme récréatif”.

Amateurs de vide-greniers et de brocantes, nous nous sommes tous arrêtés devant ces pochettes qui ont fait l’objet d’une ré-appropriation graphique anarchique par des inconnus. Une certaine idée du punk, version pochette de disque !
Je dois bien avouer qu’avant “Discographisme récréatif”, je méprisais un peu ces pochettes génétiquement modifiées. Et puis, Patrice Caillet, par son travail d’assemblage, en a révélé l’intérêt à mes yeux… “Discographisme récréatif”, c’est la pochette de disque comme récréation.

La sélection de pochettes (45 tours, 33 tours et CD) présentées dans cet ouvrage, est une amusante promenade dans un inconscient populaire, vivant et coloré, « au-delà du bon ou du mauvais goût ».
Certaines pochettes sont couvertes d’inscriptions timides ou inachevées mais d’autres laissent apparaître un travail bien plus élaboré, à base de dessin, de collage ou de peinture et derrière lequel se cache sans doute une intention artistique ou littéraire.

Pour ceux qui veulent en savoir plus, je recommande la lecture de ce texte qui analyse ce magnifique travail documentaire.

Avis aux éditeurs, Patrice Caillet a réuni la matière pour un 3ème volume qui attends donc d’être publié.

PS : Vous pouvez envoyez vos propres œuvres à Patrice à cette adresse : caillet.patrice@free.fr

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Discographisme récréatif
Homemade Record Sleeves /
Assemblage de Patrice Caillet
Editions Bricolage / En marge  / 2009
Format 21 x 21 cm, 224 pages, 200 illustrations couleur, broché avec rabats.

(le premier volume sorti en 2004 est épuisé)
Photographies © Patrice Caillet